Vengeance de "juif"

I

Il arrivait de Paris où, après avoir fait de brillantes études de médecine, il avait été interne d’un de ses hôpitaux.

Notre commune, assez importante, comprenant l’intérêt qu’elle aurait à posséder un docteur-médecin, s’était, dans la personne de ses représentants de la municipalité, pour attirer celui-ci, décidée à voter une somme qu’elle s’engageait à renouveler annuellement, à titre d’allocation fixe.

D’autres avantages étaient du même coup offerts au débutant : la douane et les enfants assistés.

Tout de suite, le jeune Docteur prouva la passion qu’il avait de son art.

Avec ardeur, il se consacra à ses malades, et opéra dans divers cas des guérisons si étonnantes, qu’il attira bientôt les regards de toute la région, et que sa clientèle dépassa vite les limites de la commune.

Sans cesse appelé en dehors de sa sphère immédiate d’action, il se multipliait à l’infini, ne ménageant rien de lui-même, brûlant le pavé, ne s’accordant de repos ni le jour, ni la nuit, répandant partout sur son passage ces énergies et ce savoir dont il était riche.

Plus d’une mère ayant du bien et fille à marier, avait jeté les yeux sur lui, et ne laissait point se perdre l’occasion de le lui faire comprendre.

Mais, avant tout, amoureux de la science qu’il interrogeait sans cesse, et avec laquelle – quoique loin de son centre d’éclosion – il ne cessait de se familiariser, en se tenant au courant de chacune de ses œuvres, productions nouvelles, dernières découvertes, il se fiançait résolument avec elle, dans cette période de vie individuelle.

La belle et sympathique figure du docteur Salomon trahissait l’enthousiasme qu’il avait de sa vocation.

Dès l’abord, il gagnait à lui.

En quelques mots, dans une première visite, il nous avait esquissé son histoire :

Exilé volontairement de sa patrie, par la longue distance séparée du foyer familial, il avait tout quitté, pour venir faire ses études à Paris, la ville lumière.

La France vers laquelle, dès son plus jeune âge, s’étaient irrésistiblement tournés ses regards, l’avait tout entier conquis.

Depuis des années, il n’avait pas revu les siens, sa mère qu’il regardait sans cesse en lui-même, et avec laquelle, régulièrement, il échangeait cette correspondance intime et douce, dont leurs deux êtres avaient besoin.

Il se fit vite connaître, et presque chaque fois qu’il passait devant notre porte, y frappait familièrement.

Sa jeunesse, sa solitude nous étreignaient, et nous sentions le devoir de lui offrir cet appui affectueux que réclame presque toute créature humaine.

Lorsque l’engouement de la population se fut un peu calmé, et qu’elle eut pris, en quelque sorte, l’habitude des cures merveilleuses, elle retomba dans ses vieilles ornières, jugea bon de s’accorder des loisirs, et le temps de se demander d’où venait cet étranger qui, rapidement, remportait de si éclatants succès.

Nous nous étions bien donné garde de parler des choses qu’il nous avait dites dans un demi abandon, ni de faire allusion à quoi que ce soit le concernant, en dehors de ce que chacun pouvait constater de visu, son habileté comme praticien, son inlassable dévouement, sa régularité, ses soins attentifs pour ses malades, sa promptitude à répondre à tous appels indistinctement, venant du riche comme du pauvre et vice-versa.

Maintenant la curiosité de chacun semblait excitée à son endroit.

Le pays n’avait pas l’usage des figures étrangères, et notre population se passait le faible d’aimer à remonter aux ascendants, pour prouver avec évidence que le jeune*** qui semblait appelé à parcourir une brillante carrière, était bien le fils de tel et telle, qui, eux-mêmes, avaient pour pères et mères les défunts V et X, Y et Z.

Mais, vu le cas nouveau, impossible à quiconque d’aller ni à la découverte, ni aux renseignements.

Cela rendait nos gens capots.

La curiosité naturelle demande un aliment ; il le lui faut, coûte que coûte, et pour le lui procurer, on ne recule, en général, ni devant la médisance, ni devant la calomnie.

- Entre-nous, convenons qu’il n’a pas l’air d’être français, notre docteur, disait la grande Madame de La Roche, à la petite dame Epicette.

- Avez-vous remarqué, ma chère, la manière dont il marche ? je n’ai jamais vu personne fléchir ainsi la jambe.

- Franchement, je vous dirai que je n’ai pas été frappée par ce détail, répondit cette dernière ; mais deux choses en lui m’ont tellement saisie, que mes yeux se sont soudain ouverts… deux traits caractéristiques.

- Vraiment ! Et quoi donc ? Veuillez achever.

- Ah ! je ne pensais pas que vous me mettriez dans cette obligation ; vous m’étonnez, dit en riant Mme Epicette. Comment ! Ne pas être offusquée par ces longs pieds plats et ce nez de juif ? Vous ne vous y connaissez guère ! Avouez-le donc ; vous en donnez la preuve.

- J’avouerai tout ce que vous voudrez, répliqua d’un ton aigre-doux Mme de La Roche, mais je ne m’étais pas arrêtée à ces détails.

- Comme vous y allez...  des détails ! dit ironiquement Mme Epicette, ah ! ah ! ah ! laissez-moi rire à mon aise ! Appeler détails des pièces à conviction !

- Si vous préférez, répondit Mme de La Roche, plus offensée encore, n’ayant pas examiné comme vous notre Docteur, des pieds à la tête, je n’avais pas supposé…

Elle n’acheva pas.

Après une pause :

- Alors, vraiment, vous croyez ?

- Si je crois ? Mais, dites plutôt que j’en suis certaine ; un Juif seul peut avoir nez pareil et pareils pieds.

- Eh bien ! vous êtes charitable de m’avertir ; c’est une race que j’exècre ; et du coup, il ne sera pas dit que j’aurai un Juif pour médecin ; je n’en veux à aucun prix, serait-il une fois plus savant. Sans plus tarder, je vais lui demander ma note ; il nous a fait quelques visites ; j’ose dire qu’il nous les fera payer trois ou quatre fois ce qu’elles valent. Ils sont tous archi-voleurs, ces Juifs !

… Une idée me traverse l’esprit : Savez-vous qu’il ne nous serait pas impossible de nous renseigner sur son pays d’origine ? poursuivit Mme de La Roche.

- Et qu’est-ce que cela prouverait ? répondit Mme Epicette. Les Juifs ne se sont-ils pas implantés partout ? Nous en avons de français, comme il en est d’allemands et d’asiatiques. Ils pullulent sur tous les points du globe.

- C’est égal, dit Mme de La Roche, rivée à son idée, il me sera facile par la femme Leblanchon qui est à son service et qui lit assez bien, de savoir d’où viennent les lettres qu’il reçoit le plus fréquemment. Car il doit, le Docteur Juif, avoir une famille, et celle-ci n’est pas sans lui écrire.

- Que sa famille habite le Nord, le Midi ou le Levant, je vous dis que c’est à un Juif authentique que nous avons affaire, conclut Mme Epicette ; oui, oui, oui ; et sa note va vous confirmer mes dires.

Quant à moi et aux miens, nous n’avons pas encore eu besoin de ses services ; et je crois pouvoir affirmer que ce n’est point à lui que nous nous adresserions, si nous venions les uns ou les autres à être malades.

On a beau dire, un Docteur d’un certain âge est de sens plus rassis et a le diagnostic plus sûr que cet étudiant d’hier. Je n’ai jamais compris, pour ma part, pareil engouement. Il a dû jeter un sort à la population. Vous savez : Les Juifs sont capables de tout…

- La sagesse consiste donc bien à se méfier, puisque vous avez des doutes, hasarda Mme de La Roche.

- Dites des certitudes, s’il vous plaît, ce serait plus exact, répondit Mme Epicette.

Et dans tous les entretiens, les remarques offensantes allaient bon train et faisaient boule de neige.

Cette malveillance, presque générale, avait, dans notre Docteur, des répercussions profondes, et malgré la ligne de conduite dont il ne se départait pas, la santé et la joie qu’il répandait partout autour de lui, il commençait à sentir l’hostilité faire sourdement son œuvre au sein de la population qu’il apprenait à connaître.

D’un autre côté, les succès indéniables qu’il remportait dans les cas les plus graves, excitaient une jalousie féroce chez ses confrères des environs, qui ne voulaient avoir avec lui aucun rapport.

C’était une sorte de quarantaine humiliante et indéterminée, qu’ils lui faisaient subir.

Il se sentait littéralement mis à l’index.

II

- Ces préjugés de race sont un outrage fait à l’humanité.

Arrière les antipathies honteuses ! arrière les voix qui ne respectent pas l’inviolable unité du genre humain !

Comment ? Voici un homme qui, depuis qu’il est arrivé a, je crois, fait ses preuves ; et parce que vous le supposez Juif, vous ne voulez à aucun prix l’appeler auprès de votre enfant qui se meurt ? On dit qu’il va nous laisser… Mais il est encore là ; et si vous le prier de venir, il viendra.

Ainsi s’adressait Mme Delbat à son mari.

- Eh ! bien non ; précisément il ne viendra pas, répondit celui-ci. L’antipathie exprimée, manifestée, ne se pardonne jamais. Depuis qu’il est pour moi hors de doute que le docteur Salomon est Juif, vous le savez ou vous ne le savez pas, j’ai tout osé, tout fait pour lui nuire.

Il s’en est parfaitement rendu compte. Je me suis trop ouvertement posé en ennemi, pour qu’il ne sache pas à quoi s’en tenir sur mes sentiments à son égard.

Il est fini et bien fini. Je ne puis donc, en vérité, demander à notre vieux docteur Forneuil, de l’appeler en consultation pour notre fils. Votre cœur de mère dira que notre situation est affreuse, angoissante, désespérée, je l’admets ; mais entre hommes, il est des choses qui ne se peuvent faire, parce qu’elles sont inadmissibles.

- Même si la mort est là, qui menace notre enfant, vous hésitez à faire un pas en avant, pour la chasser ? s’écria Mme Delbat.

- Il est inutile, ou si vous préférez, impossible de débattre la moindre question d’honneur avec les femmes en général ; elles n’y entendent rien.

- Ce que j’entends et comprends, c’est que vous sacrifiez notre Bernard à votre vanité d’homme ! Moi, sa mère, je ne craindrais pas d’essuyer les plus douloureuses humiliations ; je voudrais aller jusqu’au bout de mon idée et envoyer un message écrit, immédiat, au docteur Salomon pour le prier de venir. J’en ai dit quelques mots au docteur Forneuil ; il accepte ma proposition et n’a nullement paru froissé Dans le fond, il est si bon !

- Vous ignorez, sans doute, que vous irez au-devant d’un refus catégorique, de la part du docteur Salomon ?

- Qui vous le dit ? Je veux tout essayer, tenter l’impossible, et n’avoir pas des reproches amers à m’adresser plus tard au sujet de notre chéri, s’il nous doit être enlevé.

Mme Delbat mettait toute son âme dans son plaidoyer ; on sentait la mère frémissante se cramponnant à la dernière planche de salut.

- Je vous en supplie, poursuivit-elle, puisque les deux docteurs, dans lesquels vous avez pleine confiance, ne peuvent rien, et s’accordent à dire que le cas de notre Bernard est désespéré, laissez-moi entièrement libre de mon moribond. C’est moi, la mère vaincue, qui vais écrire au docteur Salomon.

III

Le docteur Salomon allait renter, lorsque quelqu’un lui remit une lettre dont il prit immédiatement connaissance.

Elle était brève dans sa terreur. La voici :

Monsieur et Docteur,

Je sais que je n’ai aucun droit d’en appeler à votre science et qu’à vues humaines, ma cause est perdue.

Mais la générosité de sentiments dont vous ne cessez de faire preuve, me laisse cependant l’espoir que votre cœur saura avoir pitié de la mère qui, sans votre immédiate intervention, est appelée à perdre son fils.

Elle vous crie : Oubliez, pardonnez, et avec Dieu, venez sauver son enfant.

Jeanne Delbat.

Le docteur Salomon demeurait interdit.

Par la rumeur publique, il savait la gravité du mal qui mettait le jeune Delbat aux portes du tombeau.

De la même manière, il avait été tenu au courant de la récente consultation qui avait eu lieu, et maintenant qu’il devait être trop tard pour intervenir avec succès, c’était à lui que venait s’adresser la pauvre mère éplorée.

Les blessures faites à sa plus légitime fierté, à ces sentiments que l’homme qui se respecte doit avoir en lui, les chicanes sourdes, aussi bien que le coup droit, que le conseil municipal, par les menées peu loyales de M. Delbat, lui avait porté – en supprimant et rayant le budget de la commune, de la fin de la première année de son séjour dans l’endroit, la somme votée au début, et appelée par promesse faite antérieurement, avant même qu’il ne fut décidé à venir, à être maintenue d’année en année – toutes ces vilenies, devait-il dont les mettre à jamais sous ses pieds et ne point songer à en tirer vengeance ?

L’heure était propice, de la revanche éclatante ; jamais l’occasion ne viendrait-elle une fois encore, s’en offrir à lui ?

Subitement, et de la manière la plus déconcertante, le docteur Salomon se sentit la proie d’un dualisme cruel : D’une part, c’étaient son amour propre, la conscience de lui-même, qui lui faisaient sentir plus âprement l’offense inoubliable ; de l’autre, ce défi jeté par la mort au travers de ce jeune homme, presque un enfant, le fils d’un ennemi, devant lequel deux de ses confrères capitulaient, frappés d’impuissance.

Il lui semblait vivre un siècle par seconde.

En face de cet appel vibrant d’une mère, il se sentait vaincu.

Pourquoi cette femme, pourquoi cet enfant expieraient-ils tous deux si cruellement la faute de l’époux et du père ?

Sa vengeance, à lui, serait de faire simplement le devoir qui s’imposait : et tout de suite, il allait répondre à l’appel.

IV

Quand le docteur Salomon se trouva en présence de cette mère, brisée par les anxiétés et les fatigues vécues, il vit du premier coup d’œil qu’elle était la première à douter de la réussite de la démarche tentée.

Son émotion la suffoquait.

Et lorsqu’après quelques minutes d’entretien avec le docteur Forneuil, le jeune savant penché sur le malade l’examinait minutieusement, elle, muette, le scrutant d’un regard profond, cherchait à découvrir sur son visage ce moindre signe révélateur qu’elle épiait, haletante.

Mais le visage impassible ne trahissait rien.

Cependant, dès l’heure, une lutte terrible s’engageait entre la volonté d’un homme ayant à son service tous les moyens fournis par la science, et les effets du mal que cette volonté était bien résolue à détruire dans sa cause même.

Crises successives, alternatives aiguës, dans lesquelles toutes les facultés du savant étaient mises en jeu, et qui, littéralement, brisaient les forces de l’homme.

Et lorsque le cri de la victoire put, enfin, être clamé, Mme Delbat sentit qu’après Dieu, c’était à un Juif qu’elle devait la guérison de son enfant, à un représentant de ce peuple méprisé, depuis des siècles, frappé d’ostracisme, mais dont l’étonnante vitalité l’a fait échapper à toutes les persécutions et auquel les desseins éternels ont réservé de grandes et glorieuses destinées.

Santone PALUDIS

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