Chapitre I

De l’autre côté du globe, exactement à l’opposé de l’Europe, se trouve une immense étendue d’eau que l’on appelle l’Océan Pacifique.

Cet océan est constellé d’îles et d’îlots plus ou moins rapprochés les uns des autres, mais tous recouverts d’une végétation merveilleuse et jouissant d’un climat délicieux.

Je voudrais vous parler aujourd’hui de l’une de ces îles que l’on appelle Tahiti et aussi de quelques-unes des îles voisines.

Tahiti fut découverte en 1767 par un capitaine anglais du nom de Wallis.

C’est une île d’une beauté extraordinaire.

De hautes montagnes s’élèvent jusqu’aux nues, tandis que des forêts de cocotiers et d’arbres à pain descendent jusqu’au rivage de la mer ; des rivières poissonneuses sillonnent le pays.

Il y règne un éternel printemps, l’air brûlant des tropiques étant tempéré par les fraîches brises marines.

Les habitants de l’île lorsque Wallis y débarqua pour la première fois, étaient des Polynésiens grands et forts, au teint d’un brun doré, aux yeux foncés, aux longs cheveux noirs.

Ils paraissaient gais et aimables et passaient leur temps à rire et à jouer entre eux.

Mais hélas ! Ces gens étaient des idolâtres ; ils volaient, mentaient, tuaient et se livraient à toutes sortes de péchés grossiers.

Pouvaient-ils être vraiment heureux ?

Lorsque le capitaine Wallis revint en Angleterre, et qu’il raconta ce qu’il avait vu à Tahiti, il se trouva beaucoup de chrétiens qui l’entendirent avec tristesse.

" Ah ! Pensaient-ils, pauvres gens ! Vous pouvez bien vous asseoir à l’ombre de vos bosquets, vous pouvez couronner vos têtes de fleurs en mangeant le fruit doré de l’arbre à pain et en savourant le lait des noix du cocotier, vous pouvez rire et chanter sans souci du lendemain, mais qu’adviendra-t-il de vous lorsque la mort vous arrachera à votre île ensoleillée et que vous devrez paraître devant Dieu, chargés de tous vos crimes ? "

Alors ces chrétiens firent le projet d’envoyer l’Evangile à Tahiti.

Plusieurs messieurs s’entendirent entre eux.

Ils rassemblèrent une somme d’argent assez considérable, tout en demandant au Seigneur de leur faire trouver des hommes pieux qui s’en iraient comme missionnaires dans ces îles lointaines.

Leurs prières furent exaucées et trente hommes se présentèrent comme désirant accomplir ce service d’amour.

Quatre d’entre eux étaient des évangélistes, déjà occupés à l’œuvre du Seigneur ; les autres étaient des artisans.

On fit l’acquisition d’un vaisseau " le Duff ", dont on donna le commandement à un capitaine fort pieux nommé Wilson.

Celui-ci engagea vingt-deux matelots pour l’accompagner, parmi lesquels se trouvait son propre neveu William.

Six missionnaires étaient accompagnés de leurs femmes et trois enfants complétaient la troupe qui s’embarqua sur la Tamise, à Londres, le 10 août 1796.

Un beau drapeau flottait au vent à l’arrière du navire ; il était rouge et sur ce fond éclatant se détachaient trois colombes portant dans leur bec un rameau d’olivier.

Ce n’était pas là un vaisseau de guerre, mais bien un vaisseau de paix.

En descendant le fleuve, ces chrétiens dévoués chantaient un cantique bien connu en Angleterre :

Jésus, à ton commandement

Nous partons sur la mer immense…

Les matelots des navires qu’ils croisaient au passage écoutaient avec surprise ces accents mélodieux.

Une foule d’amis et de parents s’étaient massés sur le rivage pour échanger un dernier adieu avec ceux qu’ils ne reverraient sans doute jamais ici-bas.

Le bateau suivit pendant quelques jours les côtes d’Angleterre, puis vint atterrir à Portsmouth, le grand port marchand dont vous connaissez peut-être le nom.

Là, toute personne qui le désirait, pouvait encore quitter le navire et regagner son foyer.

Une seule personne profita de l’occasion.

C’était la femme d’un des missionnaires qui, ayant beaucoup souffert du mal de mer, ne se sentit pas le courage de continuer le voyage.

Elle prit donc place dans le canot qui devait gagner la rive ; son mari l’accompagna, renonçant lui aussi à l’entreprise.

Un troisième passager quitta le navire, mais celui-là s’en alla dans un plus beau pays que l’Angleterre.

C’était un petit garçon de douze ans, nommé Charles, le fils d’un des missionnaires.

Il était malade déjà depuis longtemps, mais avait tant désiré accompagner ses parents, que ceux-ci l’avaient pris avec eux.

Le Seigneur le rappela à Lui et le petit corps fut enseveli dans le cimetière de Portsmouth.

Après quinze jours d’attente, le signal du départ fut donné.

Les missionnaires, quelques amis chrétiens venus de la ville et plusieurs des matelots qui étaient des hommes pieux, se réunirent pour rompre le pain en mémoire de la mort du Seigneur.

Puis l’heure de la séparation sonna et ils prirent congé les uns des autres avec beaucoup de larmes, mais avec la certitude de se retrouver un jour devant le trône de Dieu.

Chapitre II

1796 – 1797

Bientôt le navire se trouva en pleine mer.

Les missionnaires savaient bien que, selon toute probabilité, jamais ils ne reverraient leur patrie terrestre, mais ils s’appuyaient sur les promesse de Celui qui a dit : " Il n’y a personne qui ait quitté maison, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs, pour l’amour de moi et pour l’amour de l’Evangile, qui n’en reçoive maintenant, en ce temps-ci, cent fois autant.. , et dans le siècle qui vient, la vie éternelle. "

La traversée se faisait naturellement à voiles et les missionnaires occupaient leurs loisirs forcés soit en lisant des récits concernant les îles du Pacifique, soit en étudiant quelque peu la langue de Tahiti, soit en s’enseignant mutuellement les métiers qu’ils pratiquaient, mais tout spécialement en lisant la Parole de Dieu et en priant quelquefois ensemble et plus souvent encore dans le particulier.

Pendant tout l’hiver le vaisseau poursuivit sa route.

Les missionnaires et leurs femmes souffrirent souvent du froid, des tempêtes et du mal de mer.

Tous ne voulaient pas s’établir à Tahiti ; aussi avant d’arriver, il fallut savoir quels étaient les désirs de chacun.

Ainsi un certain jour chaque missionnaire écrivit sur une feuille de papier son nom et celui de l’île dans laquelle il désirait travailler.

On vit ainsi que dix-huit missionnaires, dont cinq étaient mariés et dont l’un avait deux enfants, désiraient rester à Tahiti.

Je ne vous donne pas leurs noms maintenant, bien que j’en aie la liste détaillée devant les yeux.

Vous apprendrez à connaître la plupart d’entre eux dans le courant de ce récit.

Cependant cela vous intéressera de savoir que les deux enfants s’appelaient Thomas et Samuel et qu’ils étaient âgés l’un de 2 ans ½, l’autre d’une année.

Le 5 mars 1797, après un voyage de sept mois, les passagers du Duff aperçurent à l’horizon les hautes montagnes de Tahiti.

Le lendemain, à 7 heures du matin, le navire jetait l’ancre à peu de distance du rivage ; mais comme c’était un dimanche, le capitaine ne voulut pas aborder immédiatement.

Les indigènes, voyant le navire, sautèrent dans leurs légers canots d’écorce et bientôt entourèrent le Duff.

Non moins de soixante-quatorze embarcations contenant jusqu’à vingt personnes chacune quittèrent le rivage.

Le capitaine essaya d’empêcher les Tahitiens de monter à bord, mais il n’y réussit pas.

Les sauvages grimpaient le long des flancs du vaisseau avec une agilité surprenante et bientôt ils envahirent le pont, sautant, criant, riant aux éclats et manifestant une joie débordante.

Ils espéraient que le navire leur apportait des couteaux, des haches, des miroirs, mais ils se doutaient peu des bénédictions qui allaient leur être offertes.

Les missionnaires regardaient les sauvages avec l’intérêt que vous pouvez comprendre ; ils les trouvèrent en général aimables et doux, mais absolument incultes.

Les indigènes avaient apporté avec eux des fruits et de petits porcs qu’ils désiraient échanger contre des couteaux et d’autres objets utiles, mais personne ne voulut trafiquer avec eux parce que c’était le jour du Seigneur.

Après quelques temps les Tahitiens gagnèrent leurs canots ; mais une quarantaine d’entre eux restèrent à bord.

Les missionnaires résolurent alors de célébrer leur culte habituel du dimanche matin.

Tandis qu’ils priaient, les indigènes les regardèrent en silence.

Puis ils entonnèrent un cantique dont la mélodie plut beaucoup aux sauvages qui témoignèrent bruyamment de leur satisfaction.

L’un des missionnaires, M. Cover, parla sur le texte " Dieu est amour ".

Puis on chanta encore " Grand Dieu ! Nous te bénissons ! …. "

Bientôt après deux hommes blancs, des Suédois, arrivèrent en canot.

Leur navire avait échoué dans ces parages et ils vivaient à Tahiti depuis plusieurs années.

Ils étaient aussi peu vêtus que les sauvages et s’appelaient Pierre et André.

Les missionnaires les accueillirent avec joie, ils parlaient l’anglais et le tahitien et pouvaient ainsi expliquer aux nouveaux arrivants ce que disaient les indigènes.

Mais hélas ! Ils trouvèrent bientôt que Pierre et André étaient de très méchants hommes, pires même que les païens qui les entouraient.

Pierre et André ainsi qu’une trentaine de sauvages, passèrent la nuit à bord.

Les missionnaires veillèrent à tour de rôle, mais rien d’insolite ne se passa.

Parmi les Tahitiens restés sur le navire se trouvait un vieillard qui semblait jouir de la considération de chacun.

C’était le sacrificateur des idoles.

Son nom était Mane-mane.

A Tahiti, c’était l’usage de choisir quelqu’un pour son ami et le vieux prêtre avait jeté son dévolu sur la capitaine Wilson, espérant sans doute recevoir de beaux présents en échange de son amitié.

Tout d’abord le capitaine déclina l’honneur qui lui était fait ; mais Mane-mane y tenait tant qu’il réveilla son ami avant l’aube pour lui renouveler sa proposition.

Alors le capitaine, sachant que son séjour dans l’île serait de courte durée et ne voulant pas offenser le prêtre, accepta : Mane-mane fut ravi.

Il changea de nom avec le capitaine, lui jeta un morceau de drap sur les épaules et lui demanda un fusil.

Le capitaine répondit qu’il n’avait pas d’armes à feu dont il put disposer, mais promit d’autres cadeaux.

Maintenant le capitaine fit lever l’ancre et le navire approcha encore plus du rivage.

La plupart des indigènes se jetèrent à la mer et nagèrent comme des poissons jusqu’à l’île.

La pluie tombait à torrents, aussi ce fut seulement vers quatre heures de l’après-midi que le capitaine, quelques-uns des missionnaires, Mane-mane et les deux Suédois prirent place dans un canot et abordèrent à Tahiti.

Les indigènes reçurent les Européens avec de grandes démonstrations de joie.

Un chef s’avança et, prenant les missionnaires par la main, il leur montra une maison vide qu’il voulait leur donner.

Cette maison ou plutôt ce hangar avait trente mètres de longueur, mais n’était pas divisée en chambres et ne contenait pas un seul meuble.

Les missionnaires purent voir maintenant quel pays ils allaient habiter.

Il était très beau et plus fertile qu’ils n’auraient pu l’imaginer, mais pour eux cette terre délicieuse n’était qu’un désert parce qu’elle était plongée dans les ténèbres de l’idolâtrie.

Chapitre III

Mars 1797

Le lundi soir, les missionnaires qui avaient abordé dans l’île, revinrent au navire.

Leurs amis furent enchantés d’apprendre la bonne réception qu’ils avaient rencontrée.

De très bonne heure le lendemain matin, Mane-mane arriva en canot apportant trois petits cochons, quelques volailles et des fruits comme cadeau pour son ami, le capitaine.

Ces présents furent reçus avec joie par les passagers qui, depuis des mois, n’avaient vécu que de viandes conservées et de légumes secs.

Mane-mane fit un long discours que Pierre traduisit.

Le vieux prêtre louait les idoles qu’il servait, mais pour terminer il fit l’éloge du Dieu qu’annonçaient les étrangers, assurant qu’il persuaderait le roi de Tahiti de se faire chrétien.

Mais toutes ces belles paroles n’étaient pas sincères ; Mane-mane cherchait seulement à gagner la faveur du capitaine.

Un peu plus tard, ce matin-là, le capitaine et quelques missionnaires accompagnèrent Mane-mane et Pierre qui retournaient à Tahiti.

Les indigènes se pressaient en foule sur le rivage pour leur souhaiter la bienvenue.

Ils se précipitèrent dans la mer et nagèrent jusqu’aux canots qu’ils tirèrent jusqu’à la plage.

Le roi et la reine de Tahiti attendaient les Européens.

Ils étaient l’un et l’autre portés sur les épaules de leurs sujets, car dans ce pays il est interdit à une personne de sang royal de fouler la terre de son pied, en dehors de son palais et de son jardin.

Comme l’île ne contient pas d’animal plus grand que le cochon, ce sont les hommes qui doivent forcément faire l’office de bête de somme.

Lorsque le roi et la reine allaient en voyage, les porteurs se relayaient tout le long de la route.

Mais pour passer des épaules des uns sur celles des autres, jamais leurs majestés ne mettaient pied à terre.

Elles sautaient par-dessus la tête d’une monture humaine pour arriver sur le dos de l’autre !

La raison de cette coutume est assez curieuse.

Le roi ou la reine devenaient forcément propriétaires de toute parcelle de terrain sur laquelle se posaient leurs pieds.

Nous pouvons donc comprendre que leurs sujets faisaient tout leur possible pour parer à cette désagréable éventualité.

Le roi se nommait Otu.

Il avait à peu près vingt ans et sa physionomie portait une expression d’ennui et de gravité peu commune à son âge et qui cadrait mal avec la gaîté habituelle des Tahitiens.

La reine, elle, n’avait pas quinze ans.

Le capitaine, se servant de Pierre comme interprète, expliqua au roi que les missionnaires étaient venus dans le but d’instruire son peuple dans ce qui lui serait salutaire.

Il le pria ensuite de faire don aux nouveaux arrivants d’un terrain assez grand pour qu’ils pussent construire leurs habitations et ensemencer des champs.

Il assura aussi que les missionnaires étaient des hommes de paix qui jamais ne prendraient part à aucune guerre.

Il exigea du roi l’assurance que lui, de son côté, ne leur ferait aucun mal.

Le roi promit tout ce que lui demandait le capitaine.

Il lui dit en outre que la grande maison que les missionnaires avaient vue lui appartenait et qu’il leur en ferait don, ainsi que d’un vaste terrain attenant.

Otu, sans descendre de sa monture, prit le capitaine par la main et le conduisit à la maison d’abord, puis sur la plage, puis encore d’un endroit à l’autre, jusqu’à ce qu’enfin le capitaine, fatigué de cette promenade, déclara qu’il voulait retourner sur le navire.

Avant de se séparer, Otu le pria de commander aux matelots de décharger les fusils qu’ils avaient avec eux.

La capitaine ordonna une double salve en guise d’adieu, puis regagna le vaisseau, accompagné des missionnaires.

Ce même soir, le roi et la reine, chacun dans un petit canot et accompagné d’un serviteur, vinrent près du vaisseau.

Ils refusèrent de monter à bord, déclarant que s’ils touchaient le navire, il leur appartiendrait.

Comme le capitaine ne pouvait se passer de son bâtiment, il n’insista pas.

Pour plaire à ses serviteurs, il offrit de faire tirer du canon, mais le roi répondit qu’un bruit pareil lui faisait peur et qu’il craignait que ses oreilles n’en souffrissent.

En revanche, Otu demanda à voir les femmes blanches et leurs enfants.

Alors les femmes des missionnaires et leurs bébés s’approchèrent du bastingage de manière à être vus par le roi et la reine.

En apercevant le petit Sammy qui n’était qu’un poupon, les visiteurs poussèrent des cris de joie et d’admiration.

Ce fut le mercredi matin que les missionnaires se rendirent à terre pour préparer leur nouvelle habitation.

Ils prenaient avec eux leurs lits et quelques caisses, mais laissèrent à bord les femmes et les enfants.

Beaucoup d’indigènes, ainsi que le roi et la reine, les attendaient au débarquement.

Le grand travail consistait maintenant à diviser la maison en chambres.

Les indigènes s’en allèrent dans la forêt et y coupèrent une grande quantité de roseaux très longs que l’on appelle des bambous.

Plantés en terre tout près les uns des autres, ces bambous formèrent des parois.

On fit ainsi une chambre à coucher pour chacun des dix-huit missionnaires, une chambre pour les livres, une autre pour les provisions, une autre pour la pharmacie.

Enfin, à l’extrémité du bâtiment on ménagea une grande pièce qui pouvait servir soit de vestibule, soit de chapelle.

Vers midi, Mane-mane arriva apportant trois petits cochons de lait cuits sous la cendre et prêts à être mangés.

Il étendit un tapis en fibre de cocotier sur le sol, y déposa ses rôtis et engagea le capitaine et les missionnaires à se servir.

Ceux-ci, après avoir rendu grâces à Dieu pour ses bienfaits, participèrent avec reconnaissance à ce repas bien qu’ils n’eussent ni assiettes, ni couteaux, ni fourchettes, ni tables, ni chaises.

Du reste la nourriture ne semblait pas devoir leur manquer, car les indigènes apportaient constamment des fruits ou de la viande comme cadeau de bienvenue.

Ils recevaient aussi des pièces de drap confectionné avec l’écorce du cocotier.

En présence d’une si grande générosité, les missionnaires ne pouvaient que remercier Dieu qui avait incliné en leur faveur les cœurs des sauvages habitants de Tahiti.

Le roi et la reine se montraient aussi pleins de bonté et secouaient à tour de rôle la main des dix-huit missionnaires ; ils examinaient leurs vêtements avec grand intérêt.

Ce qui les intéressa surtout fut un parapluie appartenant à M. Lewis.

Mais ils avertirent celui-ci de ne pas le tenir au-dessus de leurs augustes têtes puisqu’immédiatement le parapluie leur appartiendrait.

Vers le soir, les missionnaires ordonnèrent aux indigènes très bruyants toujours, de cesser de babiller et de rire.

Lorsqu’ils eurent obtenu un peu de silence, ils chantèrent un cantique et l’un d’eux pria.

Ils aimaient à louer Dieu en présence des pauvres païens, dans l’espoir que cela les amènerait à s’enquérir des choses du ciel.

Après cela les missionnaires congédièrent les indigènes en les exhortant à ne pas revenir jusqu’au matin.

Laissés seuls, ils s’occupèrent de la lecture de la Parole et prièrent encore, puis ayant mangé ce qui restait du repas du midi, ils cherchèrent pour la première fois le repos sur la terre étrangère.

Leurs cœurs débordaient de reconnaissance envers le Seigneur qui les avait conduits au port qu’ils désiraient et les avait gardés de tout mal.

Leur ardent désir était maintenant que Christ fut glorifié au milieu de ces pauvres idolâtres.

Le samedi soir, la maison se trouvant terminée, les femmes et les enfants des missionnaires purent venir s’y installer.

Je vous dirai maintenant comment nos amis passèrent leur premier dimanche parmi les païens.

De bon matin, ils se réunirent dans le local qu’ils avaient réservé pour cela dans leur logement.

Beaucoup d’indigènes se trouvaient là et ces pauvres gens se conduisirent fort bien quoiqu’ils ne comprissent rien à ce qui se passait.

Le roi était présent.

L’après-midi, les Tahitiens revinrent et alors l’un des missionnaires, M. Jefferson commença à leur parler en se servant d’André le Suédois comme interprète.

C’était là une manière bien peu satisfaisante de prêcher, car André n’était pas chrétien et il ne pouvait transmettre aux pauvres païens le message de l’amour de Dieu comme il aurait dû le faire.

Cependant lorsque les naturels comprirent que c’était à eux que M. Jefferson s’adressait, ils commencèrent à prêter l’oreille et même à poser des questions.

L’un d’eux demanda : " Votre message s’adresse-t-il aux serviteurs aussi bien qu’au roi et à la reine ? "

Le prédicateur répondit que son message était pour tous.

Il ajouta : " Il n’y a qu’un seul vrai Dieu et tous les hommes l’ont offensé par leurs méchantes actions, mais notre Dieu est si plein de bonté qu’il est prêt à pardonner aux coupables.

" Si quelqu’un croit en sa Parole, il sera béni dans cette vie et ensuite il sera introduit dans le bonheur éternel. "

Durant toute la prédication, le roi garda un visage fermé et hargneux ; il ne semblait pas s’intéresser le moins du monde aux paroles du missionnaire.

Pourtant ce soir-là, avant de se retirer, nos amis purent rendre grâce à Dieu de ce que son Evangile avait été proclamé pour la première fois ce jour-là au milieu de cette population idolâtre.

Ce fut le lendemain que le capitaine fit la connaissance du père et du grand-père du roi Otu.

Vous savez que dans nos pays, un fils ne monte sur le trône qu’à la mort de son père.

A Tahiti, il n’en était pas ainsi.

Dès qu’un roi avait un fils, le petit bébé devenait roi à sa place, à moins que le père ne le tue aussitôt.

Si l’enfant conservait la vie, son père n’était plus porté sur les épaules de ses sujets et il témoignait respect et obéissance à son petit garçon tout en gardant un certain pouvoir.

Le père d’Otu se nommait Pomare.

C’était un homme très sage pour un païen.

Il avait été un grand conquérant et avait vaincu tous les autres chefs de Tahiti ; il s’était aussi emparé d’une petite île voisine appelée Eimeo.

Il était l’homme le plus grand et le plus fort de Tahiti.

On le traitait avec beaucoup de respect et on ne lui permettait pas même de porter sa nourriture à sa bouche lui-même.

Deux serviteurs, debout à ses côtés pendant les repas, lui tendaient chaque bouchée au moyen de cuillères en bois.

Oten, le grand-père, était un vieillard à la longue barbe blanche.

Son fils et son petit-fils le traitaient avec le plus grand mépris à cause de son âge avancé.

C’était une des tristes coutumes de Tahiti d’accabler les vieillards de mauvais traitements.

Combien est différente l’exhortation de la Parole de Dieu : " Tu te lèveras devant les cheveux blancs et tu honoreras la personne du vieillard ! " (Lévitique 19 : 32).

Pomare avait de grands vices.

Il était gourmand et ivrogne. Il était rempli de convoitises et mentait constamment.

S’il faisait de beaux présents, c’était pour en recevoir d’autres en retour.

Le premier jour, il apporta au capitaine quatre grandes pièces de drap tissées avec l’écorce du cocotier.

Trois jours plus tard, il rapporta du drap et en même temps il était chargé d’une grande caisse.

Le capitaine lui demanda à quoi il la destinait.

Pomare sembla d’abord embarrassé, puis répondit, sans rougir de son mensonge, qu’il désirait en faire réparer la serrure.

Le capitaine lui conseilla alors de porter la caisse aux missionnaires ; l’un d’eux étant serrurier ferait la réparation.

Pomare parut perplexe, mais bientôt se mit à sourire.

" J’ai apporté cette caisse, avoua-t-il, pour y mettre les cadeaux que vous nous donnerez, à ma femme et à moi. Voulez-vous la faire porter jusqu’à votre cabine, pour que personne ne voie ce que vous me donnerez. "

Pomare fut bientôt installé avec sa caisse dans la cabine.

Le capitaine lui demanda ce qu’il désirait avoir.

Le vieux chef réclama dix haches, cinq chemises, huit miroirs, six paires de ciseaux, six couteaux, cinquante clous, cinq peignes.

Il demanda la même quantité d’objets pour sa femme et encore pour lui seul, une marmite en fonte, un rasoir et une couverture de laine.

Le capitaine plaça tous ces objets dans la caisse qu’il ferma à clef, la serrure étant en parfait état.

Chapitre IV

Le moment était venu où le vaisseau devait quitter Tahiti pour conduire quelques-uns des missionnaires dans un archipel très éloigné de celui sur lequel ils avaient débarqué.

Ceux qui restaient à Tahiti eurent très peur d’être laissés seuls, car les Suédois leur avaient dit que les indigènes avaient l’intention de les massacrer dès que le navire se serait éloigné.

Aussi le capitaine entreprit-il d’abord un court voyage, n’allant que jusqu’à l’île d’Eimeo ; il revint au bout de quelques jours et, trouvant que les missionnaires n’avaient pas été molestés, il les quitta, leur promettant, si Dieu le permettait, de revenir dans quelques mois.

Les missionnaires établirent un règlement pour l’emploi de chaque journée.

La cloche devait sonner à 6 heures chaque matin, et à 6 h 30 ils devaient tous se rassembler pour la prière en commun.

Jusqu’à 10 heures, ils devaient travailler de leurs mains et s’occuper à bâtir, à défricher et à planter.

De 10 heures à 3 heures de l’après-midi, le moment le plus chaud de la journée, ils pouvaient s’occuper à lire ou à écrire.

De 3 heures jusqu’au soir, de nouveau le travail manuel.

A 7 heures du soir, lecture de la Parole et réunion de prières.

Ils désiraient ardemment la conversion des pauvres païens.

Ils sentaient que, malgré toute la bonté dont ils étaient entourés, ils seraient profondément malheureux si les indigènes continuaient à vivre dans le péché.

Ils réalisaient bien qu’on ne les aimait qu’en raison des cadeaux qu’ils faisaient et des services qu’ils pouvaient rendre et que le message qu’ils apportaient n’était pour rien dans le bon accueil qu’ils recevaient.

Mane-mane n’avait-il pas déjà exprimé l’opinion : " Vous nous donnez beaucoup de bonnes paroles, mais peu d’autre chose ! "

Le roi insistait pour que la forge fut installée sans plus de retard, car il désirait posséder des outils en fer.

Un jour, la reine et lui se présentèrent chez les missionnaires, leur apportant plusieurs cochons et une grande quantité de fruits ; en même temps ils leur demandèrent de les recevoir tous deux comme leurs enfants !

Ils espéraient sans doute en agissant ainsi obtenir beaucoup de présents.

Il fallait aux missionnaires beaucoup de planches pour construire la forge.

Les indigènes furent bien étonnés de les voir scier les troncs d’arbres dans le sens de la longueur, eux qui les employaient toujours tels quels.

Lorsque le roi s’aperçut que la forge ne se construisait pas aussi vite qu’il l’aurait voulu faute de planches, il dit à M. Puckey, le charpentier :

" Viens avec moi. "

Celui-ci suivit le roi qui se fit accompagner de six autres hommes.

A la grande surprise de M. Puckey, le roi s’arrêtait devant chaque maison qu’il rencontrait, ordonnant à ses serviteurs d’y entrer et d’en enlever les charpentes !

Si le propriétaire faisait mine de résister, il était vite remis à l’ordre.

Puckey dit au roi qu’il n’était qu’un voleur, mais celui-ci répondit calmement que telle était la coutume à Tahiti !

Lorsqu’enfin la forge fut achevée, les missionnaires Hodges et Hessel commencèrent à y travailler.

Les indigènes se pressaient en foule autour d’eux, mais lorsqu’ils virent les étincelles voler de tous les côtés et qu’ils entendirent le sifflement de l’eau sur le fer rouge, ils prirent peur et se sauvèrent en courant.

Pomare fut tellement enchanté à la vue du soufflet et de l’enclume, qu’il saisit le forgeron par la ceinture et – tout noir qu’il était – frotta son nez contre le sien, ce qui à Tahiti est le plus haut témoignage d’affection qui puisse se rendre à qui que ce soit.

Les missionnaires avaient une pendule à coucou qui impressionna aussi vivement les indigènes.

Un homme apporta même du fruit de l’arbre à pain pour en nourrir l’oiseau de bois !

Nos amis souriaient de ces petits incidents, mais ils avaient bien plus souvent envie de pleurer en voyant dans quelles ténèbres morales le peuple se trouvait plongé.

Leur dieu favori Oro n’était qu’un simple tronc d’arbre de la grandeur d’un homme.

On le tenait dans un enclos ombragé entouré de murs de pierre.

Dans cet enclos se trouvaient des autels – qui ressemblaient à de hautes tables – sur lesquels on déposait des cochons morts qu’on y laissait pendant des mois et qui remplissaient l’air d’une odeur épouvantable.

Ce lieu horrible s’appelait Marae.

Il s’y passait des choses terribles.

On y sacrifiait des victimes humaines et leurs restes étaient suspendus aux arbres jusqu’à ce que les oiseaux les eussent dévorés.

Aucune femme n’osait s’approcher d’un marae ; elles n’étaient pas non plus considérées dignes d’être offertes en sacrifice.

Les prêtres encourageaient le peuple à faire de riches présents à Oro, parce qu’ils profitaient eux-mêmes de ces offrandes.

Ils usaient de toutes sortes de supercheries pour tromper les pauvres gens.

Ainsi ils s’enveloppaient dans un monceau de toile et – prétendant être le dieu – ils disaient d’une voix sépulcrale : " J’ai faim, apportez de la viande, tuez un homme et ma colère s’apaisera. "

Les indigènes se doutaient bien de la supercherie et pourtant ils craignaient d’encourir le courroux d’Oro.

Ils croyaient que leurs dieux avaient créé la terre et que l’un d’eux avait fixé les étoiles dans le ciel ; un autre dieu, très fort, tenait le soleil avec des cordes pour qu’il ne chemine pas plus vite qu’il ne le fallait.

Les Tahitiens avaient formé des dieux à leur propre image et les avaient doués de tous leurs vices.

L’un d’eux, nommé Hiro, était le protecteur des voleurs et, lorsqu’ils voulaient s’approprier le bien d’autrui, ils promettaient à Hiro de partager leur butin avec lui.

Un homme qui aurait dérobé un cochon pendant la nuit, en apportait la queue à Hiro le lendemain matin en disant : " Voilà un morceau du cochon que j’ai volé, mais n’en dis rien, je t’en prie. "

Il y avait dans l’île une grosse pierre derrière laquelle, disait-on, Hiro se cachait très honteux si on le surprenait pendant qu’il commettait ses larcins !

Les missionnaires ne tardèrent pas à découvrir à leurs dépens que les indigènes ressemblaient à leur divinité.

Un jour, un homme s’appropria une caisse dont il convoitait les clous.

Il fut pris sur le fait et les missionnaires l’enfermèrent pendant trois heures de temps, le menaçant d’une punition plus sévère s’il recommençait.

Nos amis avaient pris à leur service trois indigènes qui devaient s’occuper des cochons (ils en avaient 70) et aider à la cuisine.

Ces serviteurs commencèrent bientôt à voler.

L’un d’eux tomba malade, fut soigné avec amour par les missionnaires, puis à peine rétabli, il les quitta, emportant une vingtaine d’outils et de menus objets.

Les missionnaires réussirent à le retrouver et à le ramener chez eux.

Ils lui rappelèrent la bonté qu’ils lui avaient témoignée et lui montrèrent l’ingratitude de sa conduite à lui.

Alors la conscience du pauvre homme sembla être atteinte ; ses yeux se remplirent de larmes et il dit : " Je suis très, très méchant. "

Mais le meurtre était aussi répandu que le vol.

Les missionnaires cherchèrent à persuader Pomare de défendre à son peuple de tuer les petits enfants.

Ils voulurent aussi convaincre Mane-mane de cesser les sacrifices humains.

Le roi et le prêtre promirent tout ce que l’on demanda, mais pour tout cela rien ne changea dans les habitudes de l’île.

Un dimanche, M. Levis, l’un des missionnaires, prêcha sur ce texte : " Tu ne tueras point. "

Les indigènes se dirent l’un à l’autre : " Cette parole est bonne ; on ne doit ni tuer les enfants, ni sacrifier les hommes. "

On remarqua que Mane-mane parlait à voix basse à l’un des indigènes.

Les missionnaires lui demandèrent ce qu’il disait.

Il répondit : " Je recommandais à cet homme d’abandonner ses mauvaises actions. "

Mais lui n’en continuait pas moins à vivre dans le péché.

Il était semblable aux hommes dont Paul parle en Romains 2 : 1.

A peu près à cette époque la femme de Pomare, Idia, tua son petit enfant.

Les missionnaires lui avaient souvent parlé de l’horreur d’une action pareille.

Ils avaient même promis aux indigènes d’élever les enfants dont ils ne voudraient pas se charger eux-mêmes.

Aussi, lorsqu’Idia se présenta chez eux apportant des fruits et de la viande, ne voulurent-ils pas la recevoir.

Ils lui firent expliquer par André la raison de leur refus.

Idia se montra fort offensée et répliqua qu’elle continuerait à se conformer aux usages de son pays sans s’inquiéter du déplaisir des étrangers.

Tels étaient les gens au milieu desquels les missionnaires devaient vivre.

Ces chrétiens dévoués priaient continuellement pour eux, mais ils ne pouvaient pas même leur parler comme ils auraient aimé à le faire.

Souvent ils n’avaient point d’interprète à leur disposition, car Pierre était parti avec le capitaine Wilson et André était souvent absent.

Aussi prirent-ils l’habitude d’écrire de courtes exhortations qu’André traduisait également par écrit, afin qu’ils puissent les lire aux indigènes.

Ceux-ci continuaient à répéter que la parole était bonne, mais cette affirmation ne changeait en rien leurs mauvaises voies.

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