Les trois témoins

Poème en prose

Scène : Jérusalem après l’entrée triomphale du Christ.

Personnages : Des Pharisiens. Trois hommes choisis de la foule.

Premier Pharisien :

- Qui est cet homme ? Pourquoi cette foule le suit-elle ainsi ?

Second Pharisien :

- Rendons-nous compte nous-mêmes. Choisissez parmi la foule quelques hommes qui nous expliqueront la cause de cette étrange agitation.

Autres Pharisiens :

- Voilà trois hommes tous empressés de parler. Ceux-ci nous diront qui est cet homme et pourquoi on l’acclame.

(Ils questionnent les trois hommes).

Premier homme :

- Mon nom est Bartimée. J’étais aveugle. Je mangeais mon pain dans les ténèbres et je mendiais assis au bord de la route à Jéricho.

L’homme dont vous parlez m’a vu. Il fut ému de compassion et me rendit la vue.

Le Rabbin doit être sage et miséricordieux.

Il se peut que ces autres hommes le connaissent.

Demandez-le-leur. Ne me défendez pas de le suivre, je vous en prie.

Venez avec moi si vous voulez mais ne m’arrêtez pas.

Second homme :

- La vue n’est pas des yeux, mais de l’âme.

La mienne était une fois dans les ténèbres. J’étais bien plus aveugle que Bartimée qui vient de parler.

Bons messieurs, vous êtes instruits. Vous comprenez de grandes choses à l’égard des prophètes et de la loi.

Vous connaissez tous les secrets du saint lieu, du blé écrasé, de l’huile, de l’encens, des offrandes brûlées, des robes de lin, du pain sans levain, des agneaux sans tâche, des sabbats et des nouvelles lunes.

O hommes. O frères !

N’avez-vous jamais pensé à l’obscurité profonde de l’âme d’un exilé ?

J’étais un lépreux, je me suis caché dans des trous, méprisé, solitaire et une chose à part.

Dieu et l’homme m’ont abandonné.

Qu’était pour moi notre grand soleil avec toutes ses flammes d’or étincelantes ?

L’homme dont vous parlez m’a vu.

Il a mis sa main sur ma chair corrompue et il m’a rendu la joie de la lumière.

Maintenant, pour moi, l’herbe qui cache les fleurs est encore verte, les pierres sont grises, la terre est brune, et les eaux sont claires.

Les boutons s’épanouissent au printemps et la lune répand sur les bois feuillés une lumière soudaine, plus douce que le sommeil et plus étrange que les rêves.

Tout me semble si près, tellement à moi, comme si mon cerveau seul concevait et produisait ces charmes !

Mais puisque cela ne peut pas être, ils sont venus de Dieu, et moi je suis venu avec eux, comme une partie tendre de sa si douce création, et cette pensée devient plus douce encore au coucher du soleil quand la main consolante de Dieu calme le cœur de la tourterelle dans son nid.

Troisième homme :

- J’étais un fou, qui criait dans les tombeaux, et qui priait les morts de se tenir en paix.

Il me semblait qu’ils murmuraient toujours sous les pierres :

" Tout ce qui sera est maintenant parce que le " maintenant " ne demeure pas.

Puisque la mort sera, tout homme est déjà mort. Si la vie doit passer, elle est déjà passée.

Le temps même pendant qu’on y pense est parti.

Ainsi les hommes sont toujours couverts par le long silence. "

Je leur ai parlé des falaises solides, des troupeaux vivants, des rues et des hameaux nichés dans les collines, du lac clair et étincelant, des feuilles volantes, et du vent qui faisait frissonner ma chair nue.

Je leur ai dit comment les nuages, au moment où le jour se recule, semblent se coucher et s’allonger pour le sommeil, lassés d’attendre l’arrivée des étoiles.

Mais les voix des tombeaux criaient plus fort.

- " Il n’y a pas de terre, ni de soleil, ni de lumière, ni de ténèbres, ni rien. Nous le savons et vous le saurez un jour. "

Seuls, les enfants ne parlaient pas.

J’avais dit que Dieu avait tort de faire mourir les enfants. Ils savaient que j’avais blasphémé ; tous les enfants des tombeaux le savaient, et ils se taisaient.

Les Pharisiens :

- N’avais-tu pas une souffrance qui t’a amené dans cet état ?

Troisième homme :

- Oui. Mon jeune fils était mort, et j’avais vu le secret de la mort imprimé sur son front. Oh ! comme ce regard abattu m’avait déchiré l’âme !

Pourquoi une telle expression sur une figure si frêle, habituée à tant de gaîté et de bonheur ?

Y avait-il un maître invisible pour nous ?

L’enfant entendait-il sa voix et craignait-il les devoirs qui étaient au-dessus de ses forces ?

Il était couché à côté de nous, mais hors de notre portée. Il était à nous, mais il n’était plus.

Pharisiens :

- Laisse ces choses. Où as-tu vu ce Rabbin ?

Troisième homme :

- Dans les tombeaux, parmi les collines solitaires de Gadara, ces collines silencieuses qui semblaient connaitre mon âme.

Je me blessais avec des pierres si férocement que personne n’osait passer par là.

Chaque figure que je voyais était blême de terreur, et on apportait de grandes cordes et des chaînes pour me lier – mais je les laissais toutes – blasphémant follement que Dieu lui-même était perdu et qu’il avait péché comme nous ?

Dieu qui était autrefois si saint maintenant devenu chair !

Si longtemps tout puissant et faible à la fin !

Lui appelait tous les mondes les siens, maintenant laissé si pauvre !

Pharisiens :

- Que faisait ce Rabbin ? laisse tes paroles mauvaises. Il est honteux de les dire, et pire de les répéter.

Troisième homme :

- L’homme dont vous parlez m’a vu mais j’ai crié : " va-t’en loin de moi ! : veux-tu me tourmenter plus que ceux qui me lient ? "

Dans mon cerveau sauvage et fou, je pensais que l’homme qui me parlait était Dieu lui-même, mon grand persécuteur ; mais il restait et il m’appelait.

Il ne m’a ni jeté des pierres, ni maudit, seulement il m’appelait.

Si je l’avais vu chercher des pierres même une fois, j’aurais gardé ma liberté et mes forces, mon pouvoir à maudire, ma nudité.

J’ai crié : " Mon nom est Légion. Sauve-toi. Sois comme le reste d’Israël. Jette des pierres. "

Il est venu plus près, et il m’a appelé encore.

Quand je compris dans mon cœur à quel point il me voulait, mes larmes ont fait tout le reste. Il me voulait, il nous veut tous : les pécheurs, les blasphémateurs, même les fous.

Pharisiens :

- Qu’as-tu fait après ça ?

Troisième homme :

- Je l’ai regardé comme il quittait la côte rocailleuse de Gadara pour l’autre rivage du lac.

Puis, selon sa parole, j’ai cherché mes amis et mes parents.

Mais je le proclamais à travers Décapolis, à travers les rues et les hameaux nichés dans les collines, et un grand étonnement est tombé sur tout le pays.

Mais pendant ces jours de fête, je le suis, et comme vous avez vu ces enfants répandre leurs vêtements sur son chemin, moi je répands mon âme.

Pharisiens :

- Quelles sont ses doctrines ? Est-ce qu’il enseigne la loi ?

Troisième homme :

- Pas comme les scribes. Ils doivent apprendre de lui.

Il pardonne le blasphème et il guérit la douleur, puisque le blasphème et la douleur sont alliés.

Je pense que les gouverneurs et les Pharisiens l’aimeront dans le temple quand il parlera.

Je pense que les Sadducéens confesseront bientôt qu’il y a des anges et pas très loin de nous.

Je pense que les prêtres laisseront les sacrifices pour se réunir autour de lui et pour l’appeler " Seigneur ".

Des pécheurs et des malades et tous ceux qui pleurent, demanderont par quel chemin il a passé pour l’atteindre dans la foule.

Il sera joyeux avec les foules joyeuses.

Personne ne lui fera de mal en Jérusalem. Et quand il quittera la cité, j’irai dans sa patrie près de lui.

Moi-même et toute ma maison le suivront, seulement trop joyeux s’il nous permet de baiser les traces de ses pieds par tout le pays.

Pharisiens :

- Mais il ne t’a rien enseigné ? Qu’as-tu appris ?

Troisième homme :

- Rien, si ce n’est qu’il a prit la mort et toutes ses images qui me faisaient peur, hors de mon cœur et hors de tout.

Où était la mort, je vois la vie.

Mon esprit est avec moi-même en harmonie, et chaque souvenir de mon enfant apporte une nouvelle joie.

Le Dieu du Rabbin est Père. Qu’il garde ma perle précieuse dans ses mains saintes !

Dans ces collines solitaires de Gadara, ces collines silencieuses qui semblent connaitre mon âme, quelles visions douces de mon Maître émeuvent parfois mon cœur !

Je pense que dans les nuages planants il demeure avec les anges, près du soleil.

Quelquefois je crois, assis à table, que sa main – pas la mienne – rompt tout mon pain et remplit ma coupe jusqu’à ce que je pleure de joie.

De temps en temps, il me semble qu’il vient et qu’il soupe avec moi, et moi qui reçois le pain, je le lui donne.

Il sera déjà aux portes du temple. Il me comprend et il me veut.

Maintenant je m’en vais.

James H. WILSON

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