La perle de grand prix

Assis sur la jetée, le missionnaire regardait passionnément les ondes concentriques miroitant au soleil sous le ciel écrasant des Indes, tandis que quelques bulles montaient de la profondeur de l’eau.

Soudain, une tête émergea de la mer ; et le vieux pêcheur de perles grimpa sur la jetée, le corps ruisselant et brillant, un pagne bourré d’huîtres autour des reins.

- C’est le plus beau plongeon que j’ai jamais vu ! dit le missionnaire.

- Regarde ça, répliqua le pêcheur : je crois que celle-ci sera bonne.

Le missionnaire, ayant ouvert avec un couteau de poche l’huitre que lui tendait son ami hindou :

- Regarde ! Regarde ! s’exclama le missionnaire : c’est un vrai trésor.

- Oui, c’est une bonne perle, répondit le pêcheur, avec ce mouvement des épaules qui signifie à peu près : " n’exagérons rien. "

Mais son compagnon demeurait émerveillé.

- Une bonne perle ? Tu n’y songes pas ! En as-tu jamais vu de plus belle ? De plus parfaite ?

- Certes, j’en ai vu de meilleures. Regarde celle-ci ; vois-tu les petits points noirs qu’elle porte ici et cette fente légère ? Elle est trop allongée aussi. C’est une belle perle malgré ça, bien sûr, une belle perle moyenne.

Quand on parle avec quelqu’un, on emprunte volontiers son langage.

C’est ce que fit ce vieux pêcheur non sans une pointe de malice, tandis qu’il prenait avec son ami la route poussiéreuse de la ville.

- Tu vois, la perle à tes yeux est parfaite, comme les gens qui se jugent avec complaisance ; mais moi, je la regarde avec les yeux de Dieu lorsqu’Il voit les gens tels qu’ils sont vraiment.

Et les voici lancés dans une discussion religieuse.

Une profonde et déjà vieille amitié unissait ces deux hommes pourtant si différents.

Pour la centième fois, le missionnaire affirmait que Dieu donne le salut à ceux qui croient en Jésus-Christ, pour la centième fois, le vieil hindou répondait que c’était vraiment trop facile et qu’il mettait sa fierté à travailler pour mériter une place au ciel.

Le jour venu, il s’en ira vers l’une des villes saintes du pays nu-pieds par les routes aux cailloux pointus dont chaque aspérité éteindrait une faute passée ; et comme les deux hommes l’avaient vu faire si souvent aux pèlerins, le pêcheur s’agenouillerait tous les vingt pas pour baiser le sol.

Et, pour le récompenser, des souffrances de la route, pour répondre aux fatigues, les dieux accorderaient le Ciel au pêcheur aux pieds sanglants.

En vain, le missionnaire affirma-t-il qu’il n’était pas utile d’aller à Delhi ni de s’ensanglanter les talons pour recevoir le salut.

Le vieil homme s’en tenait à son point de vue.

Ce n’étaient pas des paroles en l’air.

Un jour, le pêcheur vint chercher le missionnaire :

- Viens jusqu’à la maison. J’ai quelque chose à te dire.

Quand ils furent arrivés, le missionnaire s’assit sur la chaise que le pêcheur avait faite pour son ami.

- Je pars pour Delhi dans huit jours, annonça le pêcheur.

Le missionnaire, malgré son émotion, ne répondit rien.

Il songeait que son ami ne reviendrait pas d’un tel pèlerinage.

C’était donc un adieu.

Et c’était aussi l’échec de tant de conversations sur la vérité de l’Evangile, la réponse négative à tant de prières secrètes…

A quoi serviraient de nouvelles paroles ?

Le pêcheur, cependant, étant sorti, revint avec une petite cassette.

- Ecoute, dit-il. J’ai eu un fils autrefois.

Le missionnaire ne chercha pas à dissimuler son étonnement.

Il répondit avec une nuance de reproche :

- Un fils ! Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ?

- Je ne le pouvais pas. Cela m’était impossible. Mais je ne veux pas te quitter, pour toujours peut-être, sans te le dire.

Il était plongeur comme moi.

C’était le meilleur pêcheur de toute la côte.

Nul n’avait une plongée plus rapide, un œil plus perçant, le bras plus vigoureux.

Parmi les pêcheurs de perles, aucun n’avait le souffle plus puissant que lui. Imagine ma fierté !

Un jour, il trouva une perle admirable, celle qui répond aux rêves de tous les pêcheurs quand ils espèrent arracher aux flots la plus belle perle du monde.

Mais il mourut peu de temps après ; de trop longues plongées l’avaient épuisé et sans doute la dernière, surtout.

Depuis, j’ai gardé cette perle, la sienne.

Et maintenant que je m’en vais avec l’espoir de recevoir la récompense de mon pèlerinage, je veux te donner la perle, puisque tu es mon meilleur ami.

Il fit jouer la combinaison de la cassette, retira un paquet qu’il ouvrit.

Les mains du missionnaire reçurent une perle géante, l’une des plus grosses qu’on n’eût jamais pêchées sur les côtes de l’Inde.

Aucune perle de culture ne pouvait rivaliser quant à l’éclat avec celle-ci.

Muet, saisi d’une espère d’effroi à l’idée de la valeur fabuleuse de cette perle, le missionnaire murmura :

- C’est une perle merveilleuse. Elle vaut un million, peut-être deux….

- Cette perle, répliqua vivement le pêcheur, avec un raidissement de la voix et du corps, cette perle est au-dessus de tout prix. Il n’y a pas de roi assez riche sur la terre pour payer la valeur qu’elle représente pour moi. Et je ne veux pas la vendre. Mais je puis la donner. Tu peux l’emporter, en guise de cadeau.

Mais le missionnaire refusait.

C’était un don inimaginable. C’était impossible. Le pêcheur de perles ne dissimula pas sa déception.

- Tu n’y comprends rien. Je me moque bien de la valeur marchande de la perle. N’y pense plus. Elle est inappréciable parce que c’est la dernière que mon fils ait pêchée, et la plus belle.

Il est mort parce qu’il est resté peut-être trop longtemps au sein de la mer pour l’en arracher.

Mon seul fils a donné la vie pour elle. Accepte-là, puisque je t’aime.

- Ecoute, dit le missionnaire, qui serrait nerveusement un mouchoir à la main, mon ami, la vie éternelle, c’est justement un cadeau comme celui que tu veux me faire.

Il est si merveilleux que personne n’est assez riche pour l’acheter, assez bon pour le mériter, même en allant cent fois de suite à Delhi pieds nus.

C’est pourquoi Dieu le donne sans nous demander d’argent, et même si nous ne le méritons pas, Il a tellement aimé le monde qu’Il a donné son Fils unique, Jésus-Christ, pour que tous ceux qui croient en Jésus aient la vie éternelle.

Le cadeau de Dieu, c’est la vie éternelle, que son Fils est venu arracher aux profondeurs de la misère humaine, comme une perle sans prix, pour laquelle Il est mort.

J’accepte ton cadeau. Et toi, veux-tu accepter le cadeau que Dieu t’offre ?

Le vieux pêcheur répondit par ses larmes.

Bon courage, amis !

L’autre jour, une pauvre mère de famille, excédée de fatigue, laissait tomber sur la table le lourd paquet du linge à peine essoré qu’elle rapportait du lavoir, et, s’exaltant tout d’un coup, comme saisie d’une espèce d’ivresse de désespoir, criait follement :

" Ah vivement la guerre ! On est trop malheureux ! "

Allez raisonner dans ces moments-là, et lui faire un discours pour lui prouver que la guerre ne ferait qu’ajouter à sa misère, infiniment ! Elle n’en pouvait plus de peine et de souci.

Elle faisait une vraie crise. Il eût fallu lui parler doucement, comme on parle à un enfant….

Il faudrait aussi que la justice mieux pratiquée dans ce monde lui ôtât de son fardeau.

Mais ceci est une autre histoire.

En attendant, oui, en attendant, que faire ?

Ils sont des centaines et des milliers, ils sont la grande masse humaine, ceux que la vie accable et brise.

Vous leur dites que l’avenir est entre leurs mains, et que c’est à eux de forger leur destinée meilleure.

Mais leurs mains sont trop débiles pour travailler à cette forge, et leur cœur est trop las !

Militer, une fatigue de plus, une souffrance nouvelle.

Et ils n’en peuvent plus.

Ce n’est pas vrai, grands-mères qui arrivez au bout de la vie, sans avoir rencontré jamais la joie sur votre chemin ?

La jeunesse, un long travail ; l’amour, un jet de flammes tôt éteint ; la maternité, une inquiétude…

L’automne est là. Feuilles mortes. Visite au cimetière. Allons, encore de la tristesse et de la mort…

Eh bien non, nous ne prendrons pas notre parti de cette universelle course à la neurasthénie.

Ce découragement, si naturel, détruit comme l’alcoolisme ou la guerre.

S’y abandonner, se laisser aller à cette trop explicable amertume, accepter, résigné, de ne voir jamais les choses et les hommes que sous l’aspect le plus sombre, c’est une asphyxie, un suicide moral qui vaut l’autre.

Naguère, je voyageais dans un train avec un employé de chemin de fer et sa femme, jeunes mariés qui venaient de passer un congé chez leurs parents dans le Midi, et rentraient chez eux.

Ils causaient avec un voyageur de commerce, brave homme.

Et voici à peu près leur dialogue : " Vous devez être contents de rentrer chez vous ?

- Ah ! Pensez donc, dans cet affreux trou !

- Pourtant, vous avez une bonne maison.

- C’est vrai, mais on est mieux dans des pays plus chauds.

- Evidemment, le soleil doit vous manquer. Quel plaisir, hein, d’habiter de l’autre côté de Nîmes !

- C’est certain, mais, vous savez, quelle poussière en été ! "

Un temps de silence, puis le voyageur : " c’est tout de même pittoresque par ici ", et aussitôt la jeune femme : " c’est toujours pareil. "

Or, à ce moment précis, le soleil se levait, colorant le ciel de teintes mauves, roses, blanches, sans cesse changeantes, et illuminant la terre d’une admirable clarté qui donnait vie et joie aux cultures en terrasses, signes du labeur courageux des hommes, et à la rivière bordée de hauts peupliers, témoins de la bienveillance du Créateur.

Mais elle n’avait pas regardé.

Qui nous donnera cette heureuse disposition intérieure qui permet de voir – aussi - ce qu’il y a de beau, de pur, de joyeux autour de nous ?

Maman désespérée, qui te suggérera de regarder les yeux attentifs, aimants, pitoyables, des petits qui sont là autour de la table ?

Jeune sotte, mon amie, qui te guérira de cette aigreur désabusée qui ternit la joie de ton mari et met comme une poussière sur la beauté de l’amour ?

Il y a deux mille ans, dans une époque aussi fertile que la nôtre en misères de toutes sortes et donc en désespoirs, les neurasthéniques, les malades de l’âme, tous ceux que la vie quotidienne engageait déjà dans la mort, trouvèrent Jésus-Christ au long des routes galiléennes et jusque dans les faubourgs de la grande ville de Jérusalem, Jésus, et son sourire, et son affection, et sa force d’âme.

Et ils furent tous guéris.

On les vit sourire à nouveau.

On entendit parmi eux des éclats de rire.

Le jour par exemple où il leur disait : " lequel d’entre vous qui n’êtes pas parfaits, si son fils lui demande du pain, lui donnera une brique à manger ?

Eh bien, votre Père céleste, lui qui est bon, saura bien en faire autant que vous, et vous donner ce que vous lui demanderez avec confiance. "

On avait la même vie, mais on ne la voyait plus de la même manière.

Des misères comme avant, mais une certitude que ça changerait.

Et de le savoir pour sûr déjà changeait la vie.

A toutes les inquiétudes on pouvait épingler des expériences, à toutes les hontes des pardons.

Ça purifiait, ça vous soulageait, ça vous libérait.

Ça ? L’esprit de Jésus !

Et ça continue.

Pensez-vous que la mort d’un corps puisse arrêter une pareille force de vie ?

En vérité, l’esprit de Jésus, c’est pour notre vieille humanité, si lasse, si pesante, un regain d’énergie, un renouveau de vie, plus que ça : une résurrection.

Il y a des gens, qui, quand ça ne va pas, prennent un cordial, du rhum, je ne sais quel autre alcool.

Au bout du compte, on finit par s’enivrer. Et ça ne va pas mieux.

Mais enivrez-vous, mes amis, de l’esprit de Jésus-Christ ; lui aussi vous chauffera le cœur, lui aussi illuminera vos yeux, mais d’une lumière éternelle.

Et ça ira mieux.

Et vous retrouverez la santé de votre âme. Et vous vivrez.

" Venez à moi, disait-il, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. "

Venez. Viens, toi.

Pasteur Henri NICK