Pépita

Histoire vraie d’un grand artiste.

On n’était encore qu’au début du printemps, et, avec l’éclatement des jeunes bourgeons et l’apparition des fleurs précoces, un désir intense saisit l’âme du peintre Domenico Féti de quitter Düsseldorf et, avec son album d’esquisses, d’errer dans les campagnes environnantes.

Un jour, à l’orée d’une forêt, il se trouva en face d’une jeune bohémienne qui tressait des corbeilles.

Autour de son beau visage, des boucles noires ondulaient et retombaient jusqu’à sa taille.

Sa pauvre robe rouge, usée et fanée par le soleil, ajoutait encore au pittoresque de sa personne.

- Quel tableau elle ferait ! murmura le peintre. Mais qui achèterait le portrait d’une bohémienne ? Personne !

A Düsseldorf, la tribu des tziganes était haïe, et il était même dangereux d’avoir affaire avec ces gens qui passaient pour des sorciers.

La jeune fille avait vu l’artiste et aussitôt, délaissant sa paille, elle bondit sur ses pieds, leva les mains au-dessus de sa tête et, claquant des doigts, pour marquer le rythme, elle se mit à danser devant lui, avec une telle grâce et une telle légèreté, qu’il en fut émerveillé.

Elle souriait de toutes ses dents blanches et ses yeux étincelaient de gaîté.

- Arrêtez ! s’écria Domenico, saisissant son crayon pour dessiner la silhouette.

Il allait vite mais c’était une position très fatigante à conserver pour la bohémienne.

Toutefois, elle la supporta jusqu’à ce qu’enfin, avec un soupir de soulagement, elle put laisser retomber ses bras et se reposer devant l’artiste de plus en plus captivé.

- Elle est plus que belle, se dit-il. C’est un modèle de premier ordre. Je le peindrai en danseuse espagnole.

Il fallut discuter le prix.

Puis il fut convenu que Pépita viendrait trois fois par semaine, pour poser.

A l’heure dite elle arriva, stupéfaite des merveilles de l’atelier.

Elle regardait tour à tour les toiles finies et commencées, et les accessoires qui ornaient la pièce, meubles, poteries, armures, vêtement, etc…

Enfin, elle arriva à une grande " pièce d’autel ", près d’être terminée, qui représentait la Crucifixion.

- Qui est cet homme ? dit la jeune fille, d’une voix tremblante, en désignant la figure centrale du Sauveur en croix.

- Le Christ, répondit Domenico, distraitement.

- Qu’est-ce qu’on lui fait ?

- On le crucifie, fit encore le peintre. Allons, fillette, tournez-vous un peu à droite. Là…ça ira.

Domenico, le pinceau dans les doigts, était un homme avare de mots.

- Qui sont ces gens autour de lui ? poursuivit-elle, … Ces gens au mauvais visage ?

Ecoutez, dit-il avec impatience, taisez-vous, je n’ai pas le temps de vous parler. Vous êtes ici pour poser et non pour bavarder.

La bohémienne n’osa pas continuer, mais elle regardait le tableau et réfléchissait.

Et, à chaque séance, la fascination qu’il exerçait sur elle s’intensifiait.

Parfois, elle se hasardait à poser quelque question, car la curiosité la tenaillait.

Un jour, elle éclata :

- Enfin, dites-moi donc pourquoi on l’a crucifié. Était-il très, très méchant ?

- Non, très bon au contraire.

C’est tout ce qu’elle put apprendre ce jour-là.

Mais elle retenait chaque mot, comme un trésor, et s’enhardit la fois suivante :

- S’il était si bon, pourquoi l’ont-ils ainsi traité ? Était-ce pour un instant seulement ? L’ont-ils laissé aller ensuite ?

- C’est parce que…

L’artiste s’était levé, et, la tête un peu penchée, arrangeait une draperie de son modèle.

- Parce que ? .... répéta Pépita, haletante.

Domenico retourna à son chevalet.

Puis, en voyant le visage anxieux en face de lui, il eut pitié :

- Ecoutez, je vais vous le dire une fois pour toutes, puis vous cesserez vos questions.

Alors, il lui raconta l’histoire de la Crucifixion, nouvelle pour Pépita, et cependant si vieille pour lui, qu’elle avait cessé de l’émouvoir.

Il ajouta même avec indifférence : " Il est mort pour tous les pécheurs. "

Il pouvait peindre cette agonie, sans qu’aucune émotion ne vibrât en lui.

Mais cette seule pensée était poignante pour la jeune tzigane, dont les grands yeux noirs s’emplirent de larmes que l’orgueil de la tribu lui interdisait de laisser tomber…

La " pièce d’autel " et la " Danseuse espagnole " furent terminées ensemble.

C’était la dernière visite de Pépita à l’atelier.

Elle regarda son propre et admirable portrait sans plaisir, mais se tint longtemps devant La Crucifixion, comme clouée au sol.

- Venez ici, dit l’artiste. Voilà votre argent avec une belle pièce d’or en plus, car vous m’avez porté bonheur. La " Danseuse espagnole " est déjà vendue. Peut-être aurai-je encore besoin de vous plus tard. Pour le moment, il ne faudrait pas encombrer le marché de votre joli visage.

- La jeune fille s’était retournée, lentement.

- Merci, Signor, dit-elle, d’une voix grave. Mais dites-moi, vous devez l’aimer beaucoup puisqu’il a souffert tout cela pour vous ?

La figure du peintre s’était empourprée de honte.

La jeune fille, dans sa robe rouge fanée, avait disparu de son atelier, mais ses paroles plaintives résonnaient encore dans son cœur.

Il essaya de les oublier, en se hâtant d’envoyer le tableau à sa destination, mais les mots persistaient : Tout cela pour vous.

Enfin, son tourment devint insupportable.

Il devait d’en débarrasser à tout prix et s’en fut se confesser.

Le prêtre lui fit subir un interrogatoire serré.

Féti croyait à toutes les doctrines de l’Eglise et reçut l’absolution avec assurance que " tout allait bien. "

L’artiste fit, sur le prix fixé pour la " pièce d’autel ", une remise généreuse et pendant une semaine ou deux, se sentit soulagé.

Mais lorsque revenait la question : Vous devez l’aimer beaucoup, n’est-ce pas ? il redevenait anxieux et ne pouvait se mettre au travail.

En allant de côté et d’autre, il apprit des choses encore inconnues.

Un jour, il vit un groupe de personnes se hâtant vers une maison près des remparts…. Une bien pauvre maison…

Puis, il en vit d’autres, venant du côté opposé et qui entraient dans le même endroit.

Il s’informa, mais sans obtenir de réponse précise, ce qui piqua sa curiosité…

Quelques jours après, il apprit qu’un étranger de la religion " réformée " habitait là…, un de ces hommes méprisés qui en appelait, en toute occasion, à la Parole de Dieu.

Était-il respectable, et même sûr, de vouloir entrer en relations avec ces gens-là ?

Et pourtant, par leur moyen, il pourrait peut-être trouver ce qu’il cherchait, si toutefois ils connaissaient le secret de la paix.

Il y alla donc tout d’abord pour observer, s’informer, sans aucune intention de se joindre à eux.

Mais un homme peut-il s’approcher du feu et rester froid ?

Le prédicateur parlait et agissait comme quelqu’un qui marche sur la terre avec le Christ, comme quelqu’un pour lequel Christ est tout.

Et Domenico trouva ce qu’il avait tant désiré : une foi vivante.

Son nouvel ami lui prêta, pour un temps, une précieuse copie du Nouveau Testament, mais poursuivi et chassé de Düsseldorf au bout de quelques semaines, il dut emporter le Livre avec lui.

Heureusement, la semence était dans le cœur de l’artiste.

Ah ! il n’existait plus de questions maintenant !

Dans son âme brûlait un ardent amour et il se disait : " Pour moi ! Il a tout fait pour moi ! Comment proclamerai-je à d’autres hommes cet amour sans bornes qui transformera leur vie comme il a transformé la mienne ?

Il est pour eux aussi, mais ils sont aveugles, comme je l’étais. Comment prêcherai-je ? Je ne sais pas parler. L’amour du Christ brûle dans mon cœur, mais je ne sais pas l’exprimer par des mots ! "

Tout en réfléchissant, le peintre avait pris machinalement un morceau de charbon de bois et esquissait une tête couronnée d’épines.

Ses yeux se remplissaient de larmes, à mesure qu’il travaillait.

Soudain, une pensée traversa son esprit comme une flèche.

- Je suis peintre ! Mon pinceau proclamera l’Amour divin ! Ah ! dans la " pièce d’autel ", je n’ai mis que la souffrance de l’agonie dans le visage. Ce n’était pas là la Vérité. Il y faut l’Amour ineffable, la Compassion infinie, le Sacrifice volontaire.

L’artiste tomba à genoux et pria pour qu’il puisse " parler " par sa toile.

Et il en fut ainsi.

Le feu du génie se mit à brûler, jusqu’à la plus haute expression de puissance.

Le nouveau tableau de la Crucifixion fut une inspiration.

Il ne voulait pas le vendre et en fit don à sa ville natale.

On le suspendit dans la célèbre Galerie de peinture, où les habitants vinrent en foule le contempler.

Les voix se faisaient douces, les yeux s’embuaient de pleurs, et les citoyens s’en retournaient chez eux, connaissant l’amour de Dieu et se répétant les paroles inscrites au bas de la toile :

Voici ce que j’ai fait pour toi.

Toi, qu’as-tu fait pour moi ?

Domenico se mêlait souvent à cette foule et regardait d’un coin de la Galerie les gens qui s’assemblaient devant son tableau.

Un jour, il remarqua, parmi les visiteurs, une pauvre fille qui pleurait amèrement.

Il s’approcha :

- Pourquoi ce chagrin, enfant ? demanda-t-il.

Elle se retourna. C’était Pépita.

- Oh ! Signor, sanglotait-elle, en désignant du doigt l’adorable visage, s’Il m’avait aimée aussi, mais je ne suis qu’une pauvre bohémienne ! Cet amour est pour vous et non pour les gens comme moi.

Et ses larmes coulaient sans contrainte.

- Pépita, il est aussi pour toi !

Et l’artiste lui redit la merveilleuse histoire.

Jusqu’à l’heure tardive où l’on fermait la Galerie, ils causèrent.

Le peintre accueillait avec joie, maintenant, toutes les questions, car le sujet lui tenait à cœur.

Il redit la vie d’amour, la mort expiatoire, la résurrection glorieuse, et expliqua l’union que l’amour rédempteur réalise.

Elle écoutait, puis elle reçut et crut les paroles " Voici ce que j’ai fait pour toi. "

Deux ans ont passé depuis que le tableau a été exposé.

L’hiver est de retour, le froid est intense et le vent souffle en rafales dans les rues étroites de Düsseldorf, en faisant trembler les fenêtres de l’atelier de Domenico.

Le travail de la journée est terminé, et devant le feu de bûches, il lit un exemplaire de son Evangile bien-aimé, qu’il s’est procuré à grand’peine.

A un coup frappé à la porte, l’artiste ouvre et laisser entrer un inconnu.

Ce dernier est vêtu d’un vieil habit en peau de mouton, semé de neige gelée.

Des boucles de cheveux noirs encadrent son visage.

Il regarde d’un air affamé les restes du repas sur la table, tout en délivrant son message :

- Le signor voudrait-il bien venir avec moi pour une affaire urgente ?

- Et quelle est cette affaire ? demanda le peintre, un peu méfiant.

- Je l’ignore, mais c’est quelqu’un de mourant qui voudrait vous parler.

- C’est bien, dit Domenico, je viendrai, mais mangez auparavant.

L’homme balbutia des remerciements et se mit à dévorer les aliments qui étaient devant lui.

- Vous avez donc bien faim ? interrogea l’artiste.

- Signor, nous sommes tous en train de mourir de faim.

Domenico emplit un sac de provisions :

- Pouvez-vous porter cela ?

- Ah ! avec joie ! Mais dépêchons-nous ; il n’y pas de temps à perdre.

Ils traversèrent rapidement les rues qui menaient à la campagne.

Là, les branches ployaient sous la neige et le sentier n’était pas même tracé.

Mais l’homme n’hésitait jamais et marchait devant, en silence et d’un pas exercé.

Enfin, ils arrivèrent à la lisière d’un bois où quelques misérables tentes étaient dressées.

- Entrez, dit l’homme, en désignant une d’entre elles.

Puis il se tourna vers un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’empressaient autour de lui et leur parla en une langue bizarre en détachant le sac de ses épaules.

Presque en rampant, le peintre pénétra sous la tente.

Un admirable clair de lune éclairait l’intérieur.

Sur un grabat de feuilles sèches, une jeune femme au visage pâle et décharné était étendue.

- Oh ! Pépita !

Au son de cette voix, les yeux s’ouvrirent, ces beaux yeux sombres, encore brillants.

Un sourire trembla sur les lèvres de la malade qui se souleva sur le coude.

- Oui, dit-elle ! Il était venu pour moi aussi ! Il m’a tendu les mains, Ses mains qui saignaient. Il m’a dit : " Voici ce que j’ai fait pour toi. "

Et elle fit ses adieux à Domenico.

Bien des années après que le peintre et la jeune bohémienne se furent retrouvés dans une meilleure Patrie, un frivole et jeune noble traversait Düsseldorf en splendide équipage, en route pour Paris.

Pendant que l’on donnait à boire et à manger à ses chevaux, il eut l’idée d’aller visiter la célèbre Galerie de peinture de cette ville.

Il était riche et intelligent. Un monde brillant lui ouvrait ses trésors.

De suite, le tableau de Domenico retint son attention.

Il lut et relut le texte inscrit au bas du cadre.

Il ne pouvait s’en arracher.

Les mots s’incrustaient dans son cœur.

L’amour de Christ pénétrait en lui et allait s’imposer à sa vie.

Les heures s’écoulaient. La nuit tombait.

Le gardien du musée toucha le bras du jeune noble qui pleurait, et l’avertit poliment que les portes allaient se fermer.

La nuit était venue, en effet, mais dans cette existence jusqu’ici mondaine, se levait l’aurore de la vie éternelle.

Rentré à l’hôtellerie, il reprit sa voiture, non pour continuer sur Paris, comme il l’avait désiré, ce matin encore, mais pour retourner chez lui.

Depuis cette heure, ce jeune homme, le comte de Zinzendorf, jeta sa vie, sa fortune et son nom aux pieds de Celui qui avait murmuré à son cœur :

Voici ce que j’ai fait pour toi.

Toi, qu’as-tu fait pour moi ?

Il fut le fondateur de la Mission morave.

Le tableau de Domenico n’est plus dans la Galerie de Düsseldorf, car celle-ci fut détruite par le feu, il y a bien des années.

Il n’existe plus mais il a, pendant longtemps, proclamé le Don de Dieu à l’Humanité, Celui dont l’apôtre Paul disait :

" Il m’a aimé et s’est donné pour moi. "

Cher lecteur, pouvez-vous ajouter : " et pour moi aussi ? "

(Distribution des traités chrétiens, 2508 Bienne - Suisse)

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