Les aventures d'un petit Berrichon

Entouré de ses fils, de ses filles, et de tous les cousins (ils étaient venus nombreux ; il faut moins d’une heure pour descendre du village d’Asnières, à la gare de Bourges, et en ce temps-là on marchait plus volontiers qu’aujourd’hui), la Mère Bonté fort émue dit à son petit dernier :

- Mon enfant, que le bon Dieu te bénisse ! …. Fais tout ce que tu voudras, mais surtout, je t’en supplie, ne pense pas à devenir missionnaire. Je ne puis pas te quitter, j’en mourrais de chagrin.

- Bien sûr que non ! Que vas-tu chercher là ? Mais non, voyons ! En voilà une idée ! …

Le garçon de dix-sept ans – il avait beau faire, il ne les paraissait pas, - s’efforçait maladroitement de rassurer sa mère.

Si bien que, tout malheureux qu’il fût de la quitter, quel soulagement que le sien quand le convoi s’ébranla.

Tandis que la Mère Bonté et toute la famille s’en retournaient vers ce singulier village du Berry dont une bonne moitié était demeurée réformée contre vents et persécutions, le garçon ne perdait pas le moindre morceau du spectacle que le train offrait à ses yeux.

François était de trop pauvre famille pour avoir souvent pris le train.

Mais s’il regardait avidement les lignes familières et discrètement harmonieuses de ce Berry qui ne vous conquiert qu’avec lenteur, comme ses habitants, - petit à petit, mais profondément, - son esprit ne parvenait pas à se séparer de l’adjuration maternelle.

Missionnaire. Pourquoi insistait-elle ? (François ignorait encore la préscience des mères).

Missionnaire ? Bien sûr, je vais à Glay. Faire des études. Pour être pasteur.

Comme M. Guiral. Comme M. Bos.

Pasteur, non pas missionnaire ! … oui ; - mais M. Guiral, l’autre jour, a fait un discours qui nous est entré dans le cœur, à nous autres les jeunes gens, tout droit comme une flèche.

Il avait reçu une lettre de la Société des Missions de Paris, et il nous l’a lue.

François se rappelle qu’à la sortie du Temple, il a dit à sa mère : " Pourquoi ne serais-je pas missionnaire, moi aussi ? " et ce fut le cri de la mère inquiète : " O mon enfant, deviens ce que tu voudras, mais pas missionnaire, tu serais perdu pour moi. "

Depuis, elle avait gardé cette épée dans le cœur ; elle y avait pensé plus que François lui-même.

Certes. Mais, après tout, c’était bien de la faute de sa mère.

Après tout, qui donc avait appris à François qu’il fallait respecter les appels de M. Guiral, sinon la Mère Bonté ?

Qui lui avait montré, dès son plus jeune âge, à aimer les fulgurants appels du pasteur Ami Bost, vous savez, cet homme extraordinaire qui faisait fermer les portes du temps d’Asnières pour apprendre aux paroissiens à venir à l’heure, celui qui détestait les beaux sermons sans se rendre compte qu’il pratiquait, à sa manière, une espèce d’éloquence personnelle, celui qui se réjouissait quand l’un de ses enfants s’en allait en mission à l’autre bout du monde ?

Et qui donc n’hésitait jamais à acheter sur ses minces ressources une brochure missionnaire.

Qui ? – mais la Mère Bonté !

A qui donc ne pouvait-on faire de plus grand plaisir que de lui lire, à la veille encore de la réunion tenue par M. Guiral, un article d’évangélisation des païens ?

A la Mère Bonté, ma mère.

Et qui donc au village – j’en suis sûr – n’oublie pas de prier pour les Missions ? Ma mère.

Alors ?

Et qui donc, malgré l’opposition de mes frères (car le père est mort depuis longtemps), a toujours espéré que son dernier fils serait au service du Seigneur ? Ma mère, Mme Coillard.

Faire des études, quand on les aime, et que la pauvreté vous en a privé, c’est une joie.

Mais c’est une délivrance, quand on vous a placé (parce qu’on n’a pas dix francs devant soi à la maison) en qualité de petit garçon à tout faire dans une famille des environs.

Qui vous aime bien. Qui vous traite bien.

Mais qui ne vous permet pas d’allumer une bougie pour lire la nuit, parce que tout le monde sait bien que vous mettriez le feu à la maison.

Qui vous enlève, pour plus de sûreté, tous vos livres (ne vous laissant que la Bible. Mais on a des moments où on ne parvient pas à l’ouvrir. Ce sont les livres dont on est privé qu’on désire).

Quand il y a moins de travail, on vous fait désherber les pavés de la cour d’honneur, et c’est fatiguant, assommant.

Le jardinier, les patrons partis, vous ennuie ; il plaisante les Protestants, on a des mots avec lui, il vous faire perdre votre place.

François lisait-il au plus profond de son cœur, comme il le fera plus tard ?

S’avouait-il que dans sa décision de s’instruire et de devenir pasteur il y avait un violent désir d’échapper à ses années d’esclavage ?

Il ne faut pas badigeonner de rose les circonstances de la vie.

Cela ne sert à rien.

Un jour ou l’autre, ça se voit, ça se sait, on s’en aperçoit (par soi-même, ce qui est le meilleur, ou grâce aux autres, et c’est triste).

Dans la détermination de François, il y avait aussi l’envie d’être un monsieur.

Mais il y a quelqu’un qui a promis de transformer le cramoisi (et le rose à plus forte raison) en blanc – en blanc comme la neige.

A Glay, où la neige ne manque pas, le petit François dévoreur de livres et assoiffé de savoir, allait avoir affaire à Celui qui vous emplit le cœur de neige à la place des motifs, plus ou moins cramoisis, qui vous ont fait venir.

Il y avait à Glay une vieille servante convertie par le directeur, - une chrétienne de la même trempe que la Mère Bonté.

Sur son lit de mort, elle exhortait les élèves à la conversion.

Sa mort, son enterrement retentirent violemment dans l’âme de François.

Le dimanche qui suivit le service funèbre, le directeur de l’école lut une brochure, une détestable brochure qui vous mettait mal à l’aise, et qui vous demandait sans cesse : " Etes-vous du froment ou de la paille ? "

On avait beau essayer de s’endormir pendant la lecture (M. Jaquet, un saint homme pourtant, et que François admirait, était souverainement ennuyeux en chaire) – le froment et la paille vous trottaient dans l’esprit, vous assiégeaient le cœur.

Impossible de se débarrasser de ce problème.

La lumière du dortoir éteinte, vous sautez du lit, vous vous mettez à genoux, vous voudriez vivre tranquille – rien à faire.

Vous feuilletez la Bible pour en recevoir l’apaisement, - rien à faire.

Et si vous montez au grenier pour que personne ne vous voie, tant vous êtes tourmenté, on n’y reçoit pas davantage le repos.

Vous multipliez les manœuvres d’approche jusqu’au bureau du Directeur ; il serait plus facile de sauver un camarade menacé par un incendie, plus simple de tirer de l’eau une petite fille en train de se noyer, que de trouver la force de frapper – et la porte ouverte (par M. Jaquet, bien sûr), de lui ouvrir votre cœur à son tour !

François n’a jamais su si c’est sa propre main qui a frappé à la porte, ou si c’est par hasard que M. Jaquet l’a ouverte pendant cette longue hésitation.

(J’imagine qu’il saura, plus tard, prêcher sur un certain verset où il est écrit : " Frappez, et l’on vous ouvrira ").

François ne se rappellera jamais non plus ce qu’il a pu dire exactement au directeur, ni la réponse de celui-ci.

Qu’importe ! Ils ont prié ensemble, il y a eu un grand lien d’amour entre eux.

Et François de se joindre à quelques camarades que Dieu travaille aussi.

On va voir des chrétiens dans les villages voisins. On a de la joie à prier ensemble. On écoute les confidences des uns et des autres.

Un jour, on accompagne M. Jaquet : on est bien tranquille, on est un tout petit garçon quand le patron est avec vous – on est sûr de passer inaperçu.

M. Jaquet vous amène chez un sabotier ; ils se serrent les mains (il n’y a plus de monsieur à chaussures ni villageois à sabots) ; ils se disent :

- Eh ! Bonjour, frère !

- Bonjour, M. Jaquet !

Mais il n’y a plus dans l’atelier ni directeur ni artisan ; ils sont frères ; dans un coin, le gars qui va avoir dix-neuf ans, et qui ne pense pas qu’on puisse penser à lui.

Quand soudain le sabotier, désignant François de la tête, demande :

- Et celui-ci, est-ce un enfant de Dieu ?

Le directeur sourit, ne répond pas.

Deux regards vous interrogent…

Mais ici, le plus habile conteur se sentirait à son tour petit garçon, il s’en voudrait de changer un seul mot à la confession de François ; on ne peut que la transcrire :

- Je rougis, je tremblai d’émotion et je répondis à demi-voix : " Oui, je suis un enfant de Dieu ; je crois, par sa grâce. "

- " Dieu soit béni " s’écria-t-il et, me saisissant les deux mains, il m’embrassa en disant : " Vous êtes donc un frère, mon frère. "

C’est alors que la Société des Missions de Paris décida d’envoyer un appel à M. Jaquet.

Le directeur de l’école le lut à ses élèves (comme M. Guiral).

Et comme alors, François de songer à la Mission ; mais entre ces deux appels, il y a eu la décoloration absolue de tous les badigeons roses qu’on avait pudiquement passés sur les raisons de votre venue à Glay.

François se sent à la fois profondément indigne de cet honneur, et impérieusement tenu d’obéir à l’appel.

En vain multiplie-t-il les objections dans la prière ; ce n’est que pour se savoir toujours plus sûrement appelé.

Mais en même temps, François se rappelle le quai de la belle gare de Bourges, les paroles de la Mère Bonté, le cri maternel à la sortie de la réunion convoquée par M. Guiral.

Que faire ?

On n’a pas d’argent pour aller en parler à sa mère.

Il ne reste qu’à écrire une lettre, à recevoir la réponse – un cri de douleur qui vous brise le cœur.

M. Jaquet vous conseille d’attendre et de prier.

On n’écrira donc rien, on attendra que la Mère Bonté confirme son opposition, ou qu’elle change d’avis.

Car on sait qu’elle prie. N’est-ce pas elle-même, la paysanne d’Asnières, qui vous a appris à prier ?

Et M. Jaquet s’occupe aussi de la souffrance de la mère et du fils, quand il est seul dans son bureau.

Quant aux copains, ils n’ont pas refusé ce coup de main spirituel.

Alors, on se donne deux mois, comptés à partir du jour où l’on a reçu la terrible lettre, pour assiéger Dieu.

Non pas qu’on veuille Le commander !

Mais on pense qu’on n’est pas capable de prendre la décision de ne plus jamais insister auprès de Mme Coillard.

Alors, on se fixe un délai. A soi-même – on verra bien si Dieu vous imposera d’en ajouter un autre.

Un long délai.

A dix-neuf ans, se taire pendant deux mois, abdiquer toute décision durant huit semaines, ce n’est pas facile.

Soixante jours de prière et de silence, le cœur écartelé entre l’obéissance à cette mère qu’on respecte sans la moindre réticence depuis qu’on a un bout de jugement, et l’obéissance qu’on doit à Celui qui vous attendait à Glay et qui vous donne rendez-vous en Afrique ou en Océanie, si loin, en tout cas, d’Asnières-lès-Bourges…

Le 31 octobre – le dernier jour – (on n’oserait pas, si c’était une histoire imaginée, inventer ce détail là : le lecteur ne dirait-il pas : " C’est vraiment facile, l’auteur nous prend pour des enfants ? ")

Oui, le dernier jour de ce combat de prière silencieuse que François soutenait en septembre et en octobre 1852, tandis que ses pensées se troublaient car il ne savait pas ce qu’il allait devoir faire, - le dernier jour, M. Jaquet lui remit une lettre.

Elle était de sa mère.

Je l’ouvris avec une émotion qui se comprend mieux qu’elle ne se décrit.

Ma mère me donnait son consentement : " Mon enfant, disait-elle, j’ai relu ta lettre, j’ai réfléchi, j’ai compris que Dieu t’appelle. Pars, mon enfant.

Je ne veux pas t’arrêter. J’avais toujours espéré que tu serais mon bâton de vieillesse.

Mais, après tout, ce n’est pas pour moi que je t’ai élevé. Et le bon Dieu, s’il t’envoie chez les païens, ne m’abandonnera pas. Pars donc sans arrière-pensée. "

F. LOVSKY

(Réveil, Digeste chrétien)

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