Considérez les oiseaux de l'air

Par une belle journée d’automne, le 8 octobre 1827, deux messieurs sortaient en voiture de l’une des portes de Jena, pour aller diner en plein air dans l’auberge champêtre de Bourgau, et passer à la campagne cette belle après-midi.

Pendant qu’ils prennent leur repas servi dans le jardin, observons ces deux hommes.

L’un est un beau vieillard dont les quatre-vingts ans n’ont pas encore courbé la taille.

A voir ce front si fécond en pensées, ce regard si rayonnant, on devine une vie intérieure qui, pareille au brillant soleil d’automne dont la lumière illuminait la nature, répand encore tout son éclat sur cette vigoureuse vieillesse.

C’était Goethe, le grand poète, dont le génie à remué l’Allemagne.

L’autre était Jean Eckermann, avec qui Goethe soutint des relations intimes pendant ses dernières années, et qui a publié dès lors quelques-uns de leurs entretiens.

Ils étaient encore à table lorsqu’ils virent passer près d’eux un petit faucon, que son vol et sa taille faisaient ressembler à un coucou.

Goethe en prit occasion pour questionner son savant ami sur cet oiseau et ses habitudes.

Après l’avoir écouté, il dit : " Tout ce que j’ai appris du coucou me donne un grand intérêt pour cet oiseau remarquable. Il est comme un mystère qui, placé sous nos yeux, est néanmoins difficile à résoudre.

Et à l’égard de combien de choses n’en est-il pas de même ! Nous sommes entourés de miracles, et le dernier mot, ce qu’il y a de meilleur en tout, nous demeure voilé.

Prenons seulement pour exemple les abeilles !

Nous les voyons aller chercher leur miel à plusieurs lieues de distance, et pour un temps toujours dans la même direction.

Une fois elles se dirigeront pendant des semaines à l’ouest, vers des champs de colza.

Puis, à une autre époque, elles voleront au nord, vers des bruyères fleuries.

En d’autres temps, elles exploitent une prairie de trèfle ou un champ de sarrasin, ou des tilleurs en fleurs.

Qui donc leur a dit : Allez de ça, allez de là, et vous trouverez de quoi butiner ?

Elles volent de côtés et d’autres, comme conduites par un fil invisible ; et nous ignorons la force qui les fait agir.

De même en est-il de l’alouette.

Elle s’élève bien haut au-dessus des champs dont les épis s’abaissent et se relèvent au souffle de la brise comme les vagues de la mer ; et cependant lorsqu’elle redescend vers cette étendue uniforme, elle retrouve, sans le chercher, le point précis où se cache sa couvée.

Toutes ces choses sont là devant nous aussi claires que le jour, et cependant le lien spirituel qui existe entre elles demeure pour nous un mystère ! "

Eckermann répliqua : " Il en est de même du coucou. Nous savons qu’il ne couve pas lui-même, mais qu’il dépose son œuf dans le nid de quelqu’autre oiseau : du roitelet, des fauvettes, de l’hoche-queue jaune, du rouge-gorge, qui tous se nourrissent d’insectes.

Car le coucou étant lui-même insectivore ne pourrait être élevé par un oiseau vivant de grains.

Mais à quoi le coucou reconnait-il cette particularité, puisque, soit par leur plumage, soit par leur cri, ces oiseaux diffèrent beaucoup d’entre eux. "

Goethe exprima son étonnement et son admiration pour ces mystérieux arrangements, et par ses questions, il excita son ami à lui donner d’autre détails encore.

Eckermann lui parla entre autres de la joie évidente qu’éprouvent les petits oiseaux quand ils voient le jeune coucou devenir plus grand et plus fort que les autres enfants de la couvée.

Avec quelle infatigable activité ils pourvoient à sa nourriture, et comment il arrive parfois que, l’année suivante, le coucou vient pondre son œuf dans le nid où il a été couvé lui-même.

Puis, à propos du soin des oiseaux pour des petits qui ne leur appartiennent pas, Eckermann ajouta : " J’avais pris une jeune linotte, déjà trop grande pour se laisser nourrir à la béquée, mais trop petite cependant pour manger seule.

Pendant une demi-journée, je m’efforçai inutilement de la nourrir ; mais ne pouvant y réussir, je la mis dans la cage d’une linotte suspendue à ma fenêtre, avec l’idée qu’en la voyant manger, le jeune oiseau imiterait son exemple.

Il n’en fut rien ; mais se tournant vers le vieil oiseau, il ouvrit son bec et agita les ailes avec des cris suppliants ; aussitôt la mère linotte en eut compassion, et le nourrit comme s’il avait été son petit.

Le lendemain, on m’apporta deux petits rossignols qu’elle adopta et nourrit avec les siens.

Quelques jours après, j’introduisis dans la même cage un nid plein de fauvettes grises déjà couvertes de plumes, puis un autre contenant cinq petites fauvettes à tête noire.

La linotte les adopta tous en en prit tous les soins d’une bonne mère.

Le bec toujours plein d’œufs de fourmis, elle allait et venait d’un bout à l’autre de la grande cage.

Partout où s’ouvrait un bec affamé, elle accourait aussitôt.

Bien plus, la petite linotte qui avait grandi sur ces entrefaites, se mit à aider sa mère adoptive dans les soins qu’elle donnait aux autres.

Elle semblait s’en faire un jeu, mais l’instinct qui la poussait à imiter la bonne mère était évident. "

- " Nous nous trouvons là devant quelque chose de divin, et qui me remplit d’un joyeux étonnement, dit Goethe.

Si cet instinct qui pousse à nourrir un étranger était une loi générale de la nature, bien des énigmes seraient résolues, et l’on pourrait dire avec conviction que Dieu a compassion des petits orphelins du corbeau qui crient à lui. "

- " Cela parait être en effet une loi générale, répondit Eckermann, car j’ai observé cette pitié, qui pousse les oiseaux à nourrir les petits abandonnés, non seulement chez ceux qui sont en cage, mais aussi dans leur état de liberté.

L’été passé, j’avais attrapé dans le voisinage de Tierfut deux jeunes roitelets qui venaient de sortir du nid, car ils étaient sept frères assis en ligne sur la branche d’un buisson, où les parents leur apportaient à manger.

Je mis ces deux petits dans mon mouchoir de poche, et m’en allai du côté de Weimar, jusqu’à la maison du tir ; puis suivant la Ilm, je remontai un petit bois.

Maintenant, me dis-je, tu peux examiner tes roitelets en paix.

Au moment où j’ouvris mon mouchoir, ils s’en échappèrent et se glissèrent si bien à travers l’herbe et les broussailles qu’il me fut impossible de les retrouver.

Le troisième jour, je revins par hasard au même endroit, et entendant le cri d’appel d’un rouge-gorge, je supposai qu’il y avait dans les environs un nid, que je ne tardai pas à découvrir.

Quel ne fut pas mon étonnement d’y trouver mes deux roitelets en compagnie des rouges-gorges presqu’emplumés ; ils avaient trouvé là un asile et se laissaient nourrir par les vieux rouges-gorges.

Cette découverte me remplit de joie !

Puisque vous avez si bien su vous tirer d’affaire, pensais-je, et que ces bons rouges-gorges vous ont donné une si amicale hospitalité, je me garderai bien de troubler votre bonne harmonie. Vivez heureux ! "

- Voilà, dit Goethe, la plus jolie histoire d’oiseau que j’aie entendue. Ni Moïse, ni les prophètes ne diront rien à celui qui en face d’un pareil fait ne croirait pas en Dieu.

C’est là ce que j’appelle la toute présence de Dieu, qui a répandu partout une partie de son amour infini, et qui indique déjà en germe dans l’animal ce qui doit s’épanouir dans une noble humanité.

Ainsi s’entretinrent ces deux hommes, jusqu’à ce que le soleil s’inclinant vers les collines d’occident leur rappelât qu’il était temps de partir.

Si Goethe qui, malgré son grand génie, n’avait pas reconnu la gloire de l’Evangile et n’avait pas trouvé Jésus comme son Sauveur, si cet homme a su voir dans la nature une merveilleuse révélation de Dieu et les preuves de son miséricordieux amour, que de choses ne doit-elle pas enseigner aux disciples de Celui qui a dit : Quiconque reçoit un de ces petits me reçoit !

Non-seulement nous y trouverons des sujets d’admiration, mais elle nous apprendra quels sont nos devoirs envers les pauvres petits enfants qui, dans nos villes et nos villages, ne connaissent pas l’amour et la sollicitude d’un père et d’une mère.

Les uns sont orphelins, d’autres ont des parents vicieux, qui, d’un cœur impitoyable jettent leurs enfants dans les voies du péché et de la ruine.

Considérez donc les oiseaux de l’air !

Et si vous vous sentez pressés de les imiter, nous vous en offrirons une occasion excellente.

Il vient de paraître le rapport annuel d’une association qui, depuis presque un demi-siècle, se donne pour tâche de recueillir de pauvres enfants dans la position dont nous avons parlé, et de les placer au sein de familles pieuses et rangées, pour un prix modique qui laisser encore une part à faire à la charité des familles adoptives.

Là ils sont reçus dans les rangs des enfants de la maison, dont ils partagent les privilèges, les joies, et au besoin les privations.

Ils obtiennent ainsi, des mains de la charité chrétienne, ce que l’adversité leur a fait perdre, et sont replacés dans la position normale que la bonne Providence a établie pour tous les enfants qui viennent au monde.

Envoyez vos dons quels qu’ils soient, grands ou petits, au " Comité de Lausanne pour l’éducation de l’enfance abandonnée " et vous aurez la douce satisfaction de penser que votre offrande sera immédiatement appliquée à procurer un toit paternel à quelqu’un de ces êtres délaissés, qui réclament bien plus vivement encore la sympathie de leurs semblables que les petits des oiseaux qui n’ont point de nid.

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