La guerre 1914 - 1915

A la déclaration de la guerre, Renée se trouve toute prête pour la tâche qui l’attend.

Son seul désir est de se rendre utile là où il y a le plus besoin d’aide.

Le 19 août elle écrivait à son père, à la frontière :

On attend avec impatience les grandes rencontres qui vont avoir lieu.

On ne peut qu’être navré à la pensée de tant de souffrances, de tant de vies détruites.

A propos du Petit Clos, nous avons décidé de le fermer à la fin du mois.

Je voudrais vous exposer la situation et vous demander ce que vous en pensez.

L’éventualité d’une bataille en Suisse est à peu près écartée, les " Bons Secours " n’auront pas l’occasion de travailler chez nous utilement.

Si des blessés étrangers sont hospitalisés en Suisse, ils seront soignés par la Croix Rouge, qui a à sa disposition un nombreux personnel.

Aussi je me demande si je ne serais pas plus utile en m’engageant en France, ou, si vous me le permettiez, en Belgique, où la misère doit être la plus grande et les infirmières moins nombreuses.

C’est à Lyon, à l’infirmerie installée à la gare de Lyon-Vaise, que Renée, appelée par une amie du Bon Secours, va travailler pendant deux mois, après un court séjour à Annecy.

A sa sœur Dora : Annecy, 7 septembre 1914

Je voudrais te faire part d’une impression navrante, d’une émotion profonde que j’ai éprouvée samedi soir.

Nous étions à la gare, on attendait un train d’émigrés.

Comment te décrire alors tous ceux qui ont défilé devant nous, et comment te dire tous les sentiments qui remplissaient mon cœur.

Une foule de 500 à 600 personnes, composée de femmes, d’enfants, de vieillards, d’éclopés.

Il y avait des familles entières, la mère avec six ou sept petits, une poussette et quelques effets roulés dans un mouchoir.

La plupart sans chapeaux, les cheveux défaits, fatigués et bien las.

C’était un véritable exode de pauvres, de misérables, rendus plus misérables encore par un long voyage de plusieurs jours, empilés dans les wagons et les fourgons, changeant à chaque instant de train, avançant toujours et ne sachant pas où on les menait.

…. Aujourd’hui nous avons vu une famille, composée du père, de la mère et de trois enfants, qui sont des réfugiés de Charleville.

Je n’ai jamais entendu de récit plus émouvant que celui de leur fuite.

Ils se trouvaient entre les deux armées ennemies.

Les Allemands avançaient.

Il fallait fuir, laissant tout derrière soi. Ils se sont mis en route.

Après une première étape d’une vingtaine de kilomètres, ils se croyaient en sûreté.

Mais le lendemain, les balles sifflaient d’aussi près que la veille.

Il fallait fuir encore.

La nuit ils couchaient dans une grange, au petit jour ils reprenaient leur marche.

Les trois premiers jours, ils ont franchi 110 kilomètres.

Mais il fallait marcher encore pour trouver une ligne de chemin de fer.

Lorsqu’ils ont rejoint un train, la bande de ceux qui s’étaient sauvés était bien diminuée.

Il y en avait qui avaient rebroussé chemin pour retourner dans leur ville et la trouver envahie par l’ennemi.

D’autres s’étaient perdus, ne connaissant pas le pays.

Enfin, il y avait tous ceux qui n’avaient pas pu suivre, les vieillards laissés en arrière….

Il y aurait bien à faire ici à s’occuper de tous ces réfugiés, qui cherchent du travail et qui n’en trouvent pas.

A son amie, à Nevers : Gare de Lyon-Vaise, 17 septembre 1914

Il est impossible de voir ce que nous voyons, d’entendre les récits de ceux qui reviennent du champ de bataille, sans avoir le cœur brisé.

Tant de souffrances, tant d’atrocités !

Comment l’homme a-t-il pu tomber si bas ?

Notre travail consiste, à l’arrivée des trains de blessés, à changer les pansements et à recevoir quelques instants les grièvement atteints qui ne peuvent continuer la route.

Nous sommes six infirmières travaillant deux par deux, nous relayant continuellement, car il faut être là nuit et jour.

A un moment donné, on peut être débordé et n’avoir pas le temps de refaire tous les pansements, puis les trains s’espacent et nous donnent le temps nécessaire pour préparer à nouveau tous nos objets de pansement et les stériliser.

Toute l’installation est faite dans une salle d’attente.

A son père, à la frontière : 30 septembre

Tout mon travail et tout ce que je vois ici me font continuellement penser à vous.

De jour en jour je suis plus reconnaissante que notre Suisse ait été épargnée.

Cela vous intéresserait d’entendre les récits de ceux qui reviennent du front.

Je voudrais que vous soyez là à l’arrivée d’un train de blessés.

Nous avons bien de l’ouvrage.

L’autre nuit, quatre trains sont arrivés, dont un comptait 1100 blessés.

Nous avons eu beaucoup de pansements qui dataient de plusieurs jours et qui étaient infectés.

Puis des blessés qui viennent directement du champ de bataille et qui n’ont encore que leurs pansements provisoires.

Souvent ceux-ci sont mal fixés, et le coton est appliqué sur la plaie.

Que de peine pour le décoller !

A sa sœur Yvonne : Septembre

…. Un blessé, qui avait reçu trois balles dans un pied et deux dans les reins, m’a raconté qu’il s’était traîné sur ses coudes hors de la ligne de feu, mais qu’au lieu de rentrer dans les lignes françaises, il s’était égaré dans celles de l’ennemi.

Il passa six jours dans une grange avec des soldats et officiers allemands, sans recevoir aucun soin et presque sans nourriture.

Le nombre des morts là-bas était énorme, les cadavres, entassés les uns sur les autres, arrivaient jusqu’à la hauteur des museaux des chevaux.

Il disait : " Ah ! La guerre, ce n’est pas beau, il faut y avoir été pour savoir ce que c’est ; mais une guerre pareille, on ne pourrait la recommencer, les hommes ne marcheraient plus. "

Au bout de six jours, les Français ayant pris possession du petit village, il se trouvait de nouveau au milieu des siens.

A sa mère : 1er octobre 1914

Un train vient d’arriver et nous apporte beaucoup de travail.

J’ai pansé un fantassin blessé au bras et à la hanche.

Tombé dans un fossé, il était resté quatre nuits et trois jours sans manger.

Je suis étonnée de voir la grande proportion des plaies qui se guérissent.

Dans un hôpital de 350 lits, un médecin en chef nous disait que 90 %  des blessés allaient pouvoir retourner au feu dans un ou deux mois.

Il est vrai que les cas très graves ne sont pas transportés jusqu’ici.

Les prisonniers allemands font une pitié immense.

Ils sont si abattus et parfois si grièvement blessés, qu’il semble que tout leur soit parfaitement égal ; ils ne tiennent plus à rien.

Que de souffrances, de tristesses, de misères !

Ici on les voit de bien près ; tout le monde est atteint, et tout le monde souffre.

J’aime à penser à notre délicieux Crans, où tout est calme et tranquille ; mais il fait bon emporter avec soi la paix de Dieu et être de ceux qui se confient en l’Eternel, qui sont comme la montagne de Sion, et ne seront jamais ébranlés.

D’un carnet de notes : 3 octobre

…. Nuit de veille bien remplie, préparation de tampons jusqu’à l’arrivée d’un train sanitaire, à minuit et demi.

Tous étendus et grièvement blessés.

Amputation de jambes, de bras, des deux mains, un officier aviateur avec les deux jambes cassées, tombé de 150 mètres.

Impression de tristesse poignante devant ces jeunes hommes, ces pères de famille, mutilés pour la vie, à vingt-trois ans avoir les deux jambes coupées !

A l’infirmerie, grand émoi, une très forte hémorragie nous tient tous en suspens ; la compression par garrot l’arrête, piqûre caféine, huile camphrée, injection sérum, agitation, nervosité du blessé.

On fait venir le prêtre, nous nous éloignons.

C’est touchant de voir ce tout jeune prêtre tendrement agenouillé auprès du brancard.

L’auto du docteur arrive, on l’accompagne, et nous savons qu’il est encore arrivé à l’hôpital.

Après avoir nettoyé notre infirmerie, je sors sur le quai et suis arrêtée par un Luxembourgeois qui me demande si je pourrais faire quelque chose pour ses enfants.

Ils voyageaient depuis plusieurs jours sans trouver grand-chose sur leur route, le père, la mère, la belle-mère, six enfants. Il était deux heures du matin, ils attendaient un train à cinq heures.

Nous les installons à la tisanerie et leur donnons du lait, du chocolat, du pain.

Le dernier, un nouveau-né de trois semaines, attire toutes les attentions.

Nous l’emmenons et lui faisons une toilette complète.

Après le départ des émigrés, nous nous étendons un moment et nous nous endormons profondément.

A six heures et demi, brusque réveil, nous nous trouvons en face d’un Arabe, qu’il faut panser avant le départ de son train.

Il est accompagné d’un officier très aimable, qui nous remercie beaucoup.

Un train de blessés est en gare, ceux qui peuvent marcher viennent faire renouveler leur pansement.

Sur le quai, un tout jeune soldat, qui a eu la joue traversée par une balle et qui ne peut parler, est en train de se débarbouiller.

Tout à coup il s’arrête, sa figure s’illumine, il court, c’est son frère qu’il vient d’apercevoir, blessé aussi.

…. Ils s’embrassent, entrent ensemble à l’infirmerie et veulent s’asseoir côte à côte pendant que nous les pansons.

Tous les deux étaient sur la ligne de feu, sans nouvelles l’un de l’autre, et sur le quai de la gare ils viennent de se retrouver.

A son amie : Crans, 18 octobre

Vous serez étonnée que je vous écrive de Crans.

J’ai pu m’échapper pour deux jours, et je suis vite revenue à la maison voir papa qui, parti le 3 août, a quelques jours de congé.

Cela fait du bien de se retrouver au milieu des siens.

La campagne est magnifique, mais on n’en jouit pas comme les autres années.

Il y a comme un très gros poids qui pèse sur les cœurs et qui rappelle sans cesse tous les cris de souffrances qui s’élèvent de la terre.

Après un court séjour en Angleterre, pour assister au mariage de sa sœur aînée, Renée va rejoindre son amie Melle Menni, à Nevers, où elle travaillera avec elle dans un hôpital militaire jusqu’en janvier 1916.

A sa sœur : Nevers, hôpital 41, novembre 1914

Pour le moment, j’ai la responsabilité de cinq salles de cinq lits, et, parmi mes malades, une quinzaine de massages.

Dans bien des cas, c’est seulement par ce moyen que l’on peut obtenir quelques améliorations.

Cela fait tant de peine de voir ces hommes forts, ces jeunes, complètement estropiés, et c’est plus triste de voir une jambe tout à fait hors d’usage, sur laquelle on ne peut s’appuyer sans qu’elle fléchisse, que de voir un amputé qui marchera plus tard avec une jambe de bois.

On comprend la joie de pouvoir apporter parfois un peu de soulagement.

Il y a un grand mélange parmi tous ces soldats.

Je soigne côte à côte un acrobate, un coiffeur de Paris, un instituteur, un chiffonnier, un commis voyageur, un paysan de la Savoie.

C’est souvent bien amusant d’entendre leurs conversations.

Il y en a qui excellent dans les récits de bataille et qui, tout palpitants, vous racontent d’un souffle les dangers traversés et leurs actions d’éclat.

A sa mère : Nevers, 3 novembre 1914

Je voudrais aujourd’hui vous ouvrir mon cœur et vous laisser lire jusque tout au fond.

Maman chérie, je sais que vous me comprenez mieux que personne et que vous m’avez peut-être devinée, que vous avez compris avant moi ce que je réalise maintenant.

Voilà ce que je sens si fort, ce qui m’est devenu si clair depuis quelques jours ; c’est qu’il y a un travail bien plus grand, plus beau, plus utile que celui que je fais depuis trois ans.

L’âme est bien plus que le corps, et, lorsque je regarde autour de moi, je vois tant de gens qui s’occupent à soigner le corps et si peu qui se donnent tout entiers pour connaître mieux l’âme et apprendre à la soigner.

Mon grand désir, c’est que Dieu m’appelle à ce travail-là.

Je voudrais que ce soit mon seul but et que tous mes efforts y tendent.

Mais lorsque je regarde à mon activité, je suis bien loin de cela.

Je voudrais que Dieu me rende " capable de parler de l’Evangile ".

Croyez-vous qu’il ouvrira une fois le chemin devant moi pour me permettre de travailler tout à fait directement pour Lui, pour attirer des âmes à Lui.

Il semble que, maintenant, où l’on côtoie la mort et la souffrance de si près, les occasions devraient être nombreuses et le travail très grand.

Je voudrais pouvoir m’y lancer, mais je me fais l’effet de ne posséder aucune arme nécessaire pour le combat…

Que c’est bon de vous avoir comme confidente !

Dites-moi tout ce que vous pensez.

Je n’ai pas besoin de vous demander vos prières, car je les sens qui m’entourent continuellement.

Je crois pour le moment être là où Dieu me veut, et, si je ne sais pas parler à ceux qui m’entourent de Son grand amour, je puis prier pour eux, et Dieu se révélera.

A sa sœur Yvonne : Hôpital de Nevers, 30 décembre 1914

…. Je commence une nuit de veille.

Figure-toi un vieux lycée, anciennement un séminaire.

Au rez-de-chaussée, plusieurs petites salles donnant directement sur une cour.

C’est dans une de ces salles-là que je suis.

Cinq lits la remplissent.

Autour des murs, des casiers, car c’était une salle d’études ; les pupitres nous servent de tables.

Les lumières sont éteintes, seul un petit lumignon éclaire le coin de table où je t’écris.

Celui que je veille est un beau et fort soldat, mais qui fait maintenant pitié à voir ; on vient de lui enlever un gros éclat d’obus dans les os du poignet.

L’opération était risquée, et il s’est produit de graves hémorragies dans les plaies.

C’est impressionnant de voir couler du sang à gros filets sans pouvoir l’arrêter.

Il a eu trois hémorragies, son matelas était transpercé aussi tu comprends dans quel état de faiblesse il est maintenant et comme son visage est pâle.

Ce soir le docteur a déclaré qu’à son avis il est perdu… Mais jusqu’au dernier souffle il y a encore de l’espoir.

18 janvier 1915

…. Le blessé dont je t’ai parlé va de mieux en mieux, il est comme un grand enfant et demande qu’on s’occupe de lui.

A sa mère : Janvier 1915

Notre hôpital est destiné à recevoir, des différents dépôts, des soldats ayant quelques balles ou projectiles à extraire.

Nous sommes chargées, Melle Menni et moi, de la salle d’opération, à côté de notre service d’étage.

Nous venons de recevoir trente-cinq soldats d’un dépôt, on nous en annonce quatre-vingt d’un autre, et ainsi de suite.

Vous voyez que nous avons du pain sur la planche, et bien des opérations en perspective.

Un chirurgien de Paris très habile vient d’opérer. C’est très intéressant, et comme dans cet hôpital de deux cent lits nous sommes les deux seules infirmières diplômées, toute la responsabilité retombe sur nous.

Nous sentons que nous sommes utiles, et moins que jamais je regrette mes années d’étude.

… Hier nous avons de nouveau opéré ; jamais encore nous n’avions abattu autant d’ouvrage : Neuf opérations dans la journée.

Nous avons travaillé de sept heures du matin à sept heures et demie du soir, avec une heure et demie d’interruption au milieu de la journée.

…. Le soir nous étions tous contents de l’ouvrage fait et des bons résultats que nous avons depuis quelque temps.

Après une nuit de veille :

…. Il faut mourir, cette expérience m’apparaît de plus en plus nécessaire.

Il y a des choses à abandonner, et, après elles, il y en a encore d’autres.

Quelqu’un[1] a dit : " Il est temps de mourir toute notre mort, pour vivre toute notre vie. "

Oui, il en est bien temps ! Que Dieu nous aide !

…. Mon désir reste toujours aussi intense ; travailler directement à gagner des âmes à Christ.

Il faut être revêtu du Saint-Esprit.

Je désire un vrai baptême, et je voudrais posséder cette puissance d’aimer et de gagner des âmes.

Ma vie est entièrement entre Ses mains. Qu’il fasse ce qui Lui semblera bon !

A sa sœur Odette : Nevers, 5 janvier 1915

Que cette année te donne, à côté du bonheur extérieur, une joie et une paix toujours plus profondes.

Que ton désir de posséder le Christ soit satisfait et qu’Il remplisse ta vie.

Il te désire, toi, chérie, et veut faire sa demeure en toi, c’est Son désir, et je sais que c’est aussi le tien.

" Je lui servirai de guide ".

La vie est pour nous un grand inconnu, nous la traversons comme un voyageur qui a entrepris un long trajet.

Il ne fait pas bon marcher seul sans connaître le chemin.

Il nous faut un guide, Dieu Lui-même s’offre à nous pour cela.

Qu’il fait bon être guidé par Lui !

Le chemin a beau être difficile, la nuit peut nous surprendre et l’orage éclater, s’Il est là devant nous, nous frayant le chemin, nous ne craignons rien.

Qu’il fait bon, au tout commencement du voyage, avoir trouvé comme toi un tel guide !

…. Nous avons le même but devant les yeux, nous voulons courir en avant et ne pas nous laisser détourner en route par les occupations, le travail, les affections ou les autres obstacles qui ralentiraient notre marche.

…. Par moments, j’ai une grande envie d’être au milieu de vous tous ; puis je me ressaisis, et je pense à tant de souffrances ici, et à tous ces blessés, isolés, ayant besoin de trouver quelqu’un qui s’occupe d’eux et qui les aime vraiment.

…. J’ai hâte de rentrer au milieu de vous, et cependant j’ai de la peine à quitter mon poste ; tu sais comme on s’attache ! ….

A son amie : Genève, avril 1915

Me voici à la maison au milieu des miens.

J’ai trouvé tout le monde à la gare. C’est si bon de les revoir.

…. Je suis retenue à la maison par une vilaine périostite, j’ai terriblement souffert, mais encore une fois je constate que Dieu dirige toutes choses.

Je serais rentrée à Nevers encore fatiguée, il a fallu ce petit accroc pour m’apprendre que j’avais besoin d’un vrai repos.

Je m’en vais passer la fin de la semaine, tranquille, à la maison.

Je suis souvent seule, j’ai le temps de penser à ceux que j’aime et, comme Marie, j’ai le temps de m’asseoir aux pieds de Jésus et de me laisser enseigner par Lui.

Il est la source d’eau vive, il faut y puiser et en boire, elle nous désaltère et devient en nous une source qui répand la vie.

A sa mère : Nevers, 1er juin 1915

On vient de décider une augmentation de 70 à 100 lits pour notre hôpital.

Notre pauvre major en est tout effrayé.

Nous l’avons rassuré en lui disant que nous n’avions pas assez à faire et que nous en serions ravies.

…. Comme ce serait beau si tout à coup, Crans se trouvait tout près d’ici !

J’irai y puiser avec bonheur fruits et fleurs pour nos blessés.

La semaine dernière nous avons opéré trois fois.

…. Parlez-moi encore de la prière ; parfois on ne comprend pas pourquoi Dieu fait attendre lorsqu’on Le prie pour qu’Il se révèle à une âme.

Priez avec moi pour un blessé que je voudrais tant voir arriver à posséder la paix.

Il a un chagrin qui le ronge, mais nous ne savons pas quelle en est la cause.

Je désire tant que cette souffrance lui fasse connaître et comprendre l’amour de Dieu et le rapproche de Lui.

Fin juillet

Me voilà enrégimentée dans l’armée française !

Avant de partir pour l’Angleterre, où je vais pour soigner Dora, j’ai dû signer un engagement comme infirmière pour la durée de la guerre, à moins d’empêchement majeur.

Le major m’a accordé un congé de deux mois.

J’ai fait le trajet de Folkestone à Londres avec des soldats belges.

Ils avaient quitté les tranchées près de Dixmude à 2 h de la nuit.

Ils avaient marché longtemps et avaient faim, aussi ont-ils profité des provisions qui me restaient.

Ce fut pour Renée un repos de faire ce séjour en Angleterre, et pour sa sœur un grand bonheur de l’avoir auprès d’elle pendant les absences répétées de son mari, et plus tard d’être entourée de ses tendres soins.

Comme toujours Renée accomplit plus que sa tâche et mit la main à tout dans la maison.

Elle soigna avec le plus grand dévouement sa petite filleule, née le 22 août 1915.

Voici quelques pensées prises dans la correspondance adressée à son amie :

Salisbury, août 1915

…. Tout est si simple pour nous qui croyons.

Mais pourquoi sommes-nous des privilégiées qui " Le " connaissent ?

Pourquoi y en a-t-il tant qui ne comprennent pas son amour ?

Cela doit être si différent de traverser ce temps d’épreuve avec Christ et sans Lui.

Pour moi je n’ai jamais traversé de grandes souffrances, je n’ai donc pas d’expérience.

Mais je crois que Christ peut nous donner de supporter des souffrances qu’à vues humaines on croirait trop lourdes à porter.

En pensant à tous ceux qui souffrent si cruellement, il me semble qu’il y en aura qui auront fait cette expérience et qui deviendront plus grands et plus forts parce que plus en communion avec les souffrances de Christ.

…. Je veux encore te dire la " merveille " que j’ai lue ce soir.

Chaque fois que je relis cette parole, je suis remplie d’émotion et de reconnaissance devant tant d’amour :

" Celui qui vous touche, touche la prunelle de mon œil " (Zacharie 2 : 8).

Lorsqu’on repose entre de telles mains, comment peut-on se laisser troubler par ce que nous rencontrons sur notre route ?

Il n’est plus permis d’être dans l’anxiété, Il prend soin de nous.

…. Je voudrais venir te dire aujourd’hui l’importance d’un moment mis à part pour Dieu, et en même temps la bénédiction qui en découle.

S.D. Gordon dit si bien que notre vie intérieure ne peut se développer qu’à la condition d’un contact journalier avec Celui à qui cette vie doit ressembler.

Il appelle ce moment spécial mis à part pour écouter Dieu et Lui parler " The morning tryst. "

Tryst est un mot écossais qui veut dire le rendez-vous que se donnent deux amis.

Christ lui-même désire ce rendez-vous.

Si, à la première demi-heure du matin, à l’aurore, lorsque l’esprit est reposé après la nuit pendant laquelle Dieu a veillé sur nous, si alors nous entrons en contact avec Lui, nous garderons pendant la journée le sentiment de Sa présence, et le soir nous dirons, comme les disciples d’Emmaüs : " Reste avec nous, Seigneur ! "

Comme c’est beau que Christ Lui-même nous demande de Lui consacrer cet instant !

Comment ne pas tout faire pour vaincre les difficultés et venir recevoir Ses instructions et Sa force avant de commencer les devoirs journaliers ?

Ce qui est difficile, c’est de ne pas être pressée, c’est d’avoir le temps nécessaire et de ne pas s’occuper de l’heure qui passe.

Puis il faut savoir oublier toutes choses pour n’avoir devant soi qu’un but : Rencontrer Dieu et le connaître davantage.

Quelle joie de le sentir là tout près !

Combien sont heureux ceux qui jouissent à chaque instant de Sa présence !

Salisbury, 14 septembre 1915

…. Le départ de Willie pour le front français a eu lieu hier.

Au moment de partir, il était, je crois, encore plus ému que Dora.

Dora est restée longtemps sur le seuil de la porte jusqu’à ce que la silhouette de son mari eût disparu.

Elle a été si brave !

Madeline pleurait et réclamait son repas, et l’on sentait que cette petite était toute la consolation de sa mère.

Avant de reprendre son poste à Nevers, Renée va passer encore quelques jours à Crans et participera à la Conférence des étudiants à Sainte-Croix.

A sa mère, à son retour à Nevers : 18 octobre 1915

Vous aurez reçu ma dépêche, qui vous aura dit mon bon retour ici.

Je suis tellement avec vous en pensée. Il ne fait nulle part aussi bon qu’à Crans.

Après vous avoir quittés, j’ai eu une impression de vide et de froid autour de moi.

Je trouve, comme les soldats, qu’il est toutes les fois plus dur de retourner au front, toutes les fois plus dur de quitter le nid bien chaud de la famille.

Je ne puis pas vous dire combien j’ai joui de vous tous.

Les journées lumineuses de Crans et de Sainte-Croix, m’aideront dans les moments difficiles.

Ce sont les expériences personnelles de l’amour de notre Dieu qui doivent nous aider en face de toutes les souffrances, car Dieu aime chacune de Ses créatures autant qu’Il m’aime moi-même, et je repasse dans mon cœur toutes les preuves de Son amour !

Merci de tout ce que vous m’avez donné, merci de tout votre amour !

Nevers, hôpital 41, minuit et demi

Me voilà replongée dans le travail, les journées se passent tout entières à l’hôpital et ne nous laissent guère de temps pour écrire.

Je suis contente de cette nuit de veille pour venir parler à tous ceux à qui je pense à chaque instant.

…. Je veille un blessé, qui, malgré les piqûres préventives, a pris le tétanos.

C’est le premier cas que je soigne.

Quelle terrible maladie !

Les docteurs espèrent le sauver, mais il ne faut le quitter ni jour et nuit.

Il était pêcheur.

La nuit dernière il divaguait, il se croyait en danger sur mer, d’un ton angoissé il suppliait qu’on vienne à son secours.

Il voulait sortir du lit, et il fallait de la force pour le retenir.

Sa femme est venue de bien loin avec leur dernier gamin ; elle croyait le trouver guéri.

Son désespoir fut navrant lorsque nous dûmes lui dire la gravité de son état.

Puis, comme elle a été brave auprès du malade, essayant de cacher son émotion !

30 octobre, 1 h du matin

Nos journées sont bien remplies ; nous sommes à l’hôpital de sept heures et demie à midi, puis de deux à sept, et bien souvent nous devons faire une tournée entre huit et neuf heures.

Nous continuons à veiller à tour de rôle depuis minuit, notre tour revient toutes les trois nuits.

Je suis étonnée de faire cela aussi facilement ; et même s’il y a un peu d’arriéré de sommeil, il y a beaucoup de joie à pouvoir le faire.

Notre blessé disait en divaguant : " Je vous paierai ce que vous voudrez, mais restez auprès de moi ! "

Les progrès du tétanos ont été enrayés, mais il a pris une congestion pulmonaire avec près de 40 degrés de fièvre.

Maintenant il s’affaiblit beaucoup. Comme on voudrait les voir guérir, ceux que l’on a tellement soignés !

…. Notre tétanique est mort.

Je suis restée près de lui et lui ai tenu la main jusqu’au dernier moment.

Nous en avons un autre dont l’état est bien grave, et l’on n’ose presque pas espérer, car nous avions gardé tant d’espoir pour le premier.

Hôpital 41, 2 h du matin

…. Avant toutes choses attachons-nous au Christ, soyons unis à Lui pour Le rencontrer, s’Il allait venir ou s’Il nous reprenait à Lui.

Il y en a tant qui meurent.

Il faut être prêt ; car une fois malade, la souffrance empêche de faire un pas de plus vers Dieu.

Le blessé que je veille est inconscient.

Pour calmer les terribles contractions du tétanos, on lui a donné une forte dose de chloral.

De temps en temps, il appelle son petit Robert ou sa femme.

Comme on voudrait apporter le Christ à tous ceux qui souffrent !

Ce que je demande à Dieu, c’est qu’Il me garde de me laisser trop absorber par le travail, et qu’Il me donne de m’approcher de Lui pour recevoir et donner ensuite.

[1] Gaston Frommel

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