Un écolier modèle
Le journal des Débats du 21 janvier dernier, contenait le touchant récit suivant :
" Un de ces derniers jours, un enfant, Aristide Peticol, de mine chétive et pauvrement vêtu, se présentait au ministère de l’instruction publique, à Paris, et demandait à parler au ministre.
Interrogé par les huissiers sur le but de sa visite, il répondait par le touchant récit qu’on va lire.
Fils d’un vigneron du Jura, pauvre et chargé de famille, cet enfant, plein d’ardeur pour le travail, avait concouru l’an dernier pour obtenir une bourse au lycée de Lons-le-Saulnier.
Son examen fut excellent, mais le succès ne répondit pas à son attente, et une demi-bourse seulement fut demandée pour lui par la préfecture du Jura.
" Le jeune étudiant s’en revint tout désolé chez son père, qu’il savait bien être dans l’impossibilité de subvenir à ses études, même pour partie.
" Et prenant tout à coup un parti vraiment héroïque, il quitta un matin la maison paternelle et partit pour Paris, avec vingt-cinq francs pour tout son voyage, léger d’argent, mais bien décidé à obtenir du ministre lui-même cette bourse si désirée.
" Il laissait à son père la lettre suivante, qui est un modèle de sentiment et d’énergie :
" Cher père, ce matin tu m’as dit que tu étais endetté, qu’il me fallait chercher ma vie.
" Eh bien, je vais la chercher, je vais trouver le ministre de l’instruction publique, ou plutôt je vais au ministère.
" Dans peu de temps je serai de retour.
" Ne fais point de démarches pour me retrouver, car ce serait perdre mon brillant avenir.
" Je fais la route à pied : j’espère que je serai le premier de l’an à Paris ; une fois arrivé, je puis me dire boursier, élève de l’Ecole Marine, aspirant, etc…
" Qui ne m’accorderait pas tout en voyant qu’à quatorze ans je fais cent lieues pour obtenir ce pour quoi les autres élèves feraient cent lieues pour s’abstenir (sic), c’est-à-dire que je vais faire cent lieues pour aller en classe (gratis), tandis que les autres feraient cent lieues pour ne pas y aller.
" J’ai pris 25 francs qui étaient dans le tiroir, et ce n’est pas trop, je pense ; ne les regrette point, tu vas bientôt en être dédommagé.
" Ce que je te recommande surtout, c’est de ne pas me faire chercher, car tu serais le premier à t’en repentir.
" Arrivé à Paris sans ressources, il alla se loger dans un hôtel dont le maître voulut bien l’accueillir ; des renseignements furent pris aussitôt sur cet enfant et sur sa famille par la préfecture de police.
Ils furent si bons que le préfet de police crut devoir recommander personnellement le jeune Peticol à la bienveillance du ministre.
C’est alors que l’enfant se présenta au ministère, non sans émotion dans la voix, mais sans crainte dans le cœur.
M. Segris, justement touché d’une persévérance et d’un courage si rares dans un enfant de quatorze ans, a obtenu sans peine de l’empereur une bourse entière pour le jeune Peticol, dont la joie est inexprimable.
" Il est parti tout fier de son succès, et il est retourné bien vite à la maison paternelle, chercher un pardon qu’on ne lui marchandera pas. "
La dernière prédication de M. MOLINES
C’était à la fin de janvier 1752.
Paul Rabaut, âgé alors de 34 ans, revenait d’une des assemblées du désert en compagnie d’un jeune proposant, nommé Bénezet.
Ils furent surpris et arrêtés par les terribles dragons.
Le lieutenant qui conduisait la petite troupe, craignant de ne pouvoir emmener avec sécurité les deux prisonniers, se décida à en relâcher un, et ne se doutant pas de l’importance de la capture, il laissa partir Paul Rabaut.
Bénezet fut conduit à Montpellier et y fut condamné et pendu.
Il n’avait que vingt-six ans.
Sa mort fut aussi ferme et courageuse que celle de Désusbas, et cependant, il laissait un jeune enfant, et sa femme était près d’en mettre un autre au monde.
Pris à peu près dans le même temps et dans les mêmes circonstances, un autre pasteur du désert, Molines, eut une fin bien différente.
Effrayé par les apprêts du supplice de Bénezet, Molines abjure et gagne ainsi sa vie et sa liberté.
Mais bientôt il est bourrelé de remords et la vie lui devient à charge.
Il s’enfuit en Hollande où, après des preuves de repentance et une abjuration publique, il est de nouveau reçu dans la communion de l’Eglise.
Le fils de l’un des pasteurs d’Amsterdam nous a laissé le récit suivant qui renferme ses souvenirs personnels à ce sujet :
" Jusqu’à son extrême vieillesse, M. Molines n’a pu se pardonner de n’avoir pas imité Bénezet.
Pendant sa vie entière, il fut à ses remords ; sans cesse il revenait à cette idée : Pourquoi n’ai-je pas su donner ma vie à mon Sauveur, qui a donné, lui, la sienne pour mon salut ?
" Bien jeune encore, je me souviens d’avoir vu arriver mainte et mainte fois M. Molines, s’accusant toujours, tandis que mon père s’efforçait de lui faire comprendre que, par les mérites infinis de Christ, son pardon lui était sans aucun doute accordé et qu’il pouvait espérer son salut comme un autre pécheur repentant.
Très avancé en âge, il était affligé d’une grande surdité, ce qui obligeait mon père à lui adresser ses consolations en élevant la voix.
La figure du malheureux, sillonnée de rides, portait l’empreinte du désespoir ; mais on y retrouvait de faibles vestiges d’une physionomie jadis noble et élevée.
Son regard, éteint par les larmes, attestait tout ce que son âme avait souffert.
On ne pouvait le rencontrer sans se sentir ému de pitié.
Son attitude exprimait l’affaissement.
Sa tête retombait de tout son poids sur sa poitrine et ses mains pendantes annonçaient un découragement profond.
Sa mise négligée témoignait de son oubli des choses extérieures ; toute sa personne, en un mot, prouvait qu’il ne comptait plus parmi les vivants.
Aussi quelques âmes charitables avaient-elles bien voulu pourvoir à son existence.
" Jamais il n’arrivait chez nous et ne s’asseyait silencieusement en attendant que mon père, pour la centième fois, vint lui répéter des paroles de consolation, sans que j’éprouve une sorte de terreur mêlée d’une enfantine curiosité.
Je décrivais autour de lui un demi-cercle aussi étendu que la chambre pouvait me le permettre et ne le perdais néanmoins pas un instant de vue.
Il était tellement absorbé en lui-même, qu’il ne s’apercevait de quoi que ce soit ; rien ne pouvait le distraire de ses sombres pensées.
Il ne pouvait oublier surtout le dernier regard jeté sur lui par Bénezet.
Et quand il était en proie à ce souvenir, ses sanglots redoublaient ; il regrettait la couronne du martyre perdue par sa lâcheté et gagnée par son ami.
Trente ans de repentir ne lui paraissaient qu’un jour insuffisant pour pleurer ce qu’il appelait son crime impardonnable.
" Un jour cependant, il lui vint une idée qui sembla lui apporter quelque consolation.
Il demanda à mon père s’il ne lui serait pas possible d’obtenir du consistoire la permission de remonter une seule et dernière fois dans cette chaire de vérité qu’il avait tant profanée.
M. Chatelain exprima quelques doutes ; néanmoins il ne refusa pas de se charger de sa requête auprès de l’autorité compétente.
" Les anciens du troupeau, présidés par les ministres, décidèrent que la demande de M. Molines pouvait lui être accordée, à condition toutefois qu’il ne prêchât pas dans une Eglise.
Mon père mit à sa disposition un vaste pavillon situé au bout du jardin attenant à la maison.
Ce fût peut-être le seul moment où, sur le front si profondément attristé de M. Molines, vint luire un rayon, sinon de bonheur, au moins de contentement.
Lorsque le public apprit qu’une telle prédication devait avoir lieu, l’empressement pour y être admis fut extrême.
On avait mis la plus grande solennité à ce service du soir.
Il est aisé de deviner le sujet choisi par M. Molines.
Le repentir de saint Pierre, par l’analogie frappante qu’il trouvait entre sa faute et celle de l’apôtre, lui avait seul paru convenir à sa situation.
" Ce discours produisit un effet prodigieux ; composition, débit, application touchnate et presque effrayante firent de cette prédication un appel aux âmes tellement impressionnent qu’aucun des auditeurs n’en perdit le souvenir.
" M. Molines ne survécut que peu d’années à ce jour si mémorable pour lui.
Sur le lit de mort, mon père administra à ce pécheur repentant des consolations que, cette fois, il réussit à lui faire recevoir avec la pleine conviction du pardon, auquel il n’avait pu croire jusqu’alors, et qu’il accepta avec des sentiments d’humilité et de reconnaissance qui, dès ce moment, commencèrent pour lui le bonheur éternel. "