Evangéline ou les cieux ouverts (1) - Mort triomphante d'une jeune chrétienne

" Voici, je vois les cieux ouverts " (Actes, chapitre 7, verset 56).

Il ne s’agit point de retracer ici une vie qui, dans sa brièveté, fut toute d’intimité et de tendresse.

Dira-t-on l’histoire de la violette qui, discrète et silencieuse, cachée parmi les feuilles vertes, ne manifesta sa présence que par l’exquise douceur de son parfum ?

Peut-être marquera-t-on l’instant, où, arrachée à sa tige et plus suave encore en sa meurtrissure, elle fut présentée, par la main qui la cueillit, pour être une parure ou un ornement.

Telle Evangéline, humble et douce, délicate et discrète à l’extrême, et qui semblait ne rien redouter autant que d’attirer l’attention sur elle ; ferme toutefois et résolue, quand son vif sentiment de justice était en jeu, ou lorsque quelque humble tâche avait sollicité son cœur.

Quelle bienfaisante influence elle répandait autour d’elle ! Quelle trace lumineuse laissaient ses pas ! Et combien grand est le vide creusé par son brusque départ !

Toutefois, c’est en ce départ même, que fut surtout révélée la vertu de la foi qui était en elle.

Car il a plu à Dieu, pour sa propre gloire, de faire de la mort de sa jeune servante un véritable et indescriptible triomphe.

Née le jour du Vendredi Saint, 3 avril 1885, Evangéline avait pu être considérée dès lors comme appelée de Dieu à le glorifier dans la souffrance et dans la mort, plus que dans l’action et par sa vie.

" Je suis plus prête pour mourir que pour vivre, " déclarait-elle elle-même expressément aux siens, quelques heures avant de les quitter.

Trois fois sa vie avait été arrachée à une fin prématurée.

Un jour qu’elle jouait avec l’un de ses frères, plus âgé qu’elle (elle-même avait alors quatre ans environ), ils renversèrent sur eux une armoire de cuisine.

Evangéline en fut quitte pour une légère blessure.

Plus tard, elle tomba d’un second étage dans la cage de l’escalier.

Déviant de sa chute, par une cause inexpliquée, elle s’arrêta sur le palier du premier étage.

Relevée comme inanimée, elle reprit bientôt ses sens, sans avoir éprouvé aucun mal.

Elle avait été atteinte, dans l’intervalle, par la fièvre typhoïde.

Le docteur qui la soignait, entrant dans sa chambre, un matin qu’il s’attendait à la trouver fort mal, la vit, avec stupéfaction, assise et jouant sur son lit, libre de toute fièvre.

Dieu avait exaucé les prières instantes de sa mère, qui put télégraphier au père absent pour une tournée missionnaire : " Evangéline est guérie. Continue ton travail. "

Il ne devait pas toujours en être ainsi.

Ses études secondaires achevées, Evangéline désira d’aller en Angleterre, pour se perfectionner dans la connaissance de la langue anglaise.

Elle s’y rendit en juin 1905.

Faut-il attribuer ce qui se produisit alors au chagrin que l’enfant, au cœur si affectueux, ressentit pendant les mois passés loin de ceux qu’elle aimait ?

Est-ce imputable simplement aux influences d’un climat très différent de celui auquel elle était accoutumée ?

Toujours est-il qu’au mois de février suivant, Evangéline écrivit à ses parents, peu préparés, semblait-il, à recevoir pareille nouvelle, que le docteur de l’établissement où elle se trouvait, ordonnait le retour immédiat au pays natal.

Evangéline ajoutait en post-scriptum : - " Je suis persuadée que tout sera pour le mieux. "

Il fut manifeste, à son arrivée, qu’elle était atteinte d’un mal redoutable, qu’elle ne s’en dissimulait point elle-même la gravité et qu’elle en entrevoyait dès lors, très calmement, l’issue probable.

Elle ne s’en soumit pas moins jusqu’au bout, avec une entière docilité, à toutes les exigences du traitement qui lui fut imposé.

Elle aurait pu, d’ailleurs, sinon se rétablir, du moins vivre encore plusieurs années, sans une complication qui se produisit soudain, à la surprise de tous, notamment de son docteur, en avril dernier, le jeudi de la semaine sainte (8 avril 1909).

- " Je pensais, " dit Evangéline elle-même à ses parents accourus en toute hâte, " que je vivrais deux ou trois ans encore. Mais, " ajouta-t-elle, " il vaut mieux que ce soit maintenant, parce que tous les deuils que vous venez d’éprouver ont été pour vous une éducation, et qu’il vous sera plus facile d’être courageux. "

En s’exprimant ainsi, elle faisait allusion non seulement au départ, tout récent encore, d’une sœur ainée, mais au fait que, dans l’espace de quelques semaines, sa famille venait de creuser trois autres tombes.

Et c’est au moment même où ses parents étaient allés déposer dans un cimetière de famille le corps d’une mère, qu’un télégramme les avait rappelés auprès de l’enfant mortellement atteinte.

Arrivés à midi, le jour de Pâques, ils ne devaient plus jouir que pendant vingt-quatre heures à peine de la présence de leur fille bien-aimée.

Ce délai eût même été probablement plus court, si Evangéline n’eût vivement désiré d’attendre une sœur absente, qui ne put arriver que le lundi matin, et de laquelle – eu égard surtout à sa mère, dont elle voulait ménager les forces – elle souhaitait la présence et les soins pour les derniers moments.

Elle se surveillait, à cette intention, parlant lentement, à voix basse, et évitant toute dépense inutile de force.

- " Je pourrais parler plus fort, " assurait-elle, " j’ai encore un peu de force, mais je m’économise pour A. … "

Toujours préoccupée des autres, et pensant à tout, on la vit, dès le premier moment, s’appliquer à préparer les siens, surtout son père et sa mère, à la séparation qu’elle sentait toute proche, en même temps qu’elle voulait leur témoigner jusqu’au bout, mettant de côté désormais son habituelle réserve, toute la force de son affection,

C’est ainsi qu’elle voulut presque constamment avoir ses deux mains dans les leurs, non sans dire aux autres personnes qui entouraient son lit :

- " Si j’avais d’autres mains, je vous les donnerais aussi. "

Evangéline avait d’ailleurs fait approcher successivement, non seulement chacun des siens, mais aussi les personnes étrangères qui se trouvaient dans la maison, pour les embrasser et leur dire quelques paroles.

Comme on l’engageait, après cela, à essayer de dormir :

- " Je ne saurais pas que je suis avec vous, " repartit-elle, et elle ajoutait un peu après :

- " Nous nous aimons beaucoup ! … Nous continuerons ! .... Cela ne fera que grandir ! …. Cela grandit déjà ! …. "

Quand le lundi matin, le docteur vint une dernière fois et lui demanda si elle avait dormi pendant la nuit :

- "J’avais bien mieux à faire, " répondit-elle avec son plus aimable sourire.

Puis elle le remercia pour tous les bons soins dont elle avait été l’objet de sa part, de telle sorte que l’excellent docteur ne pouvait retenir ses larmes.

Ce que fut cette dernière nuit, et les douces paroles prononcées, et les profondes émotions ressenties, c’est ce que ne pourraient exprimer ceux-là même qui demeurèrent constamment auprès de la chère mourante.

Tout d’abord Evangéline avait dit à son père :

- " Prie, pour que j’ai assez de foi, pour que mon départ soit tout à fait calme. "

Priant à son tour, elle demanda que ce départ " servît à la gloire de Dieu et au bien de tous, particulièrement de ses frères. "

Elle demanda ensuite à Dieu de consoler ses parents, ajoutant, avec l’assurance triomphante de la foi : - " Et tu les consoleras ! "

Quant à elle-même, elle s’accusa d’orgueil et d’hypocrisie – ce qui causa à ceux qui l’entouraient un certain étonnement, car rien, à leurs yeux, ne paraissait plus éloigné de son caractère ; mais son âme, de plus en plus délicate, ne pouvait supporter le contact de la moindre souillure – et elle demanda, avec le pardon, un cœur humble et " tout à fait " sincère.

Son père lui rappela alors la vertu du sacrifice de Jésus-Christ et l’entier pardon accordé à ceux qui croient en son nom : - " Oui, " reprit-elle avec décision et en accentuant chaque parole, " Je le crois… Je le sais… Merci, Seigneur ! "

A partir de ce moment, elle ne parut plus penser à elle.

Elle jouissait d’une paix parfaite, qui rayonnait sur son visage, qui se sentait en toutes ses paroles, se communiquait à ceux qui l’entouraient et semblait remplir la chambre elle-même.

Evangéline en eut comme la sensation, ce qui lui fit dire à certain moment :

- " Comme nous avons la paix ici ! On peut bien dire que c’est la paix. "

Comme elle avait la tête appuyée sur l’une des mains de son père, elle observa un peu après :

- " On est si bien dans ta main. Qu’on doit être bien dans la main de Dieu ! "

Plus tard, après avoir dit qu’elle aimerait bien attendre sa sœur, elle ajouta :

- " Mais je suis heureuse d’arriver ! "

Son père seul avait entendu cette parole. Il la répéta, mais en la modifiant, par mégarde, et disant qu’Evangéline assurait qu’elle était heureuse de partir.

- " Non pas de partir, " reprit-elle vivement, " d’arriver ! "

- " Mais, " poursuivit-elle, " je ne suis pas pressée, parce que je n’ai pas mal. " Et un peu après elle reprit :

- " Je n’aurais pas pensé qu’il fût si facile de mourir. "

Cette certitude que, malgré les apparences, toute souffrance était épargnée à la chère malade, devait contribuer puissamment à la consolation des siens.

Trois fois, au cours des dernières heures, elle leur en renouvela l’assurance.

Puis, quand vint la crise finale, quand l’agitation de la poitrine parut extrême, alors que chacun se disait que désormais la lutte était assurément trop rude pour n’être pas accompagnée d’angoisse, et que, depuis quelques instants, aucune parole ne montait plus aux lèvres expirantes, soudain on entendit encore ce cri, jeté comme au milieu d’une tempête :

- " Pas mal ! "

Ainsi, les deux derniers mots sortis de la bouche de la mourante dénotaient à la fois, non seulement qu’elle était l’objet d’une grâce toute particulière, mais encore qu’elle était jusqu’au bout en pleine possession d’elle-même et moins occupée d’elle que de ceux qui l’environnaient, auxquels elle voulait laisser une suprême consolation.

Evangéline retomba alors sur son lit, (jusqu’à ce moment elle s’était tenue assise) et il sembla qu’avec ce cri vainqueur son âme s’était envolée.

Qu’une telle fin déjà eût été belle ! Que le spectacle en eût été bienfaisant !

Il n’y aurait eu, en vérité, qu’à offrir, avec des larmes, de vives actions de grâces à Celui qui peut donner à la foi de si remarquables secours.

Mais ce n’était point encore, au gré de Dieu, un assez ferme témoignage, ni une suffisante consolation pour ceux qu’il appelait à passer par de si rudes épreuves.

En effet, alors qu’avec les mouvements du corps la respiration paraissait avoir cessé, et que la séparation semblait désormais consommée, Evangéline, élevant soudain ses deux bras, se mit, en les déployant, à faire le geste qu’arracherait à l’admiration et à la surprise, la subite apparition d’un vaste et ravissant spectacle, ou l’approche d’êtres aimés, qu’on saluerait avec allégresse.

Ses yeux éteints se reprirent en même temps à briller du plus vif éclat, son visage s’illumina d’un large et radieux sourire, et de sa poitrine ranimée, sortit une voix sonore, qui fit tressaillir les personnes présentes.

C’étaient des cris de joie, une véritable acclamation.

Et tandis que ces cris continuaient de se faire entendre, trois fois les bras esquissèrent le même geste de ravissement, trois fois le même large sourire illumina le visage…

Au moment de rompre les derniers liens qui l’attachaient à la terre, l’esprit avait demandé au corps de rassembler ce qui pouvait encore lui rester de forces, pour saluer le nouveau monde, dont l’approche lui causait de si ineffables transports.

Les bras, après cela, retombèrent, étendus à droite et à gauche, et continuant un moment encore de se mouvoir sur le lit.

Le père d’Evangéline voulut alors tenir une dernière fois dans sa main la main droite de son enfant bien-aimée, qui se trouvait étendue de son côté ; mais à peine l’eût-il touchée que vivement cette main fut retirée de la sienne, avec un mouvement qui semblait dire : Laissez-moi aller, désormais je ne suis plus d’ici-bas.

Les bras, au même instant furent ramenés contre la poitrine.

Mais voilà que presque aussitôt on put voir les deux mains de la chère mourante, se détachant doucement du corps, l’une après l’autre, s’élever encore pendant un instant, et esquisser très distinctement comme un gracieux mouvement d’ailes.

Tel l’ami qui, au détour de la voie, étend la main par la fenêtre du wagon qui l’emporte, et, par un geste bien connu, envoie, avant de disparaitre, un amical et dernier adieu.

Ainsi on avait pu assister, non seulement au paisible départ de l’humble jeune chrétienne, mais encore, en quelque manière, à son entrée au Royaume céleste, ou mieux, selon sa propre expression, à sa joyeuse et triomphale " arrivée " dans la maison du Père.

Evangéline, vingt-quatre ans auparavant, avait ouvert les yeux à la lumière de ce monde, le jour qui nous rappelle plus particulièrement les souffrances qui furent le prix de notre rédemption.

Il lui était donné maintenant de contempler, aux douces clartés de Pâques, et dans une plus pure lumière, le visage glorieux de son Sauveur ressuscité.

- " Tu vas être bienheureuse, " lui avait dit sa mère, quelques instants avant la séparation. " Tu vas voir ta chère sœur (les deux sœurs s’aimaient tendrement) et nos autres bien-aimés… "

-" Et LUI ! " avait ajouté Evangéline. " C’est Lui qu’il nous faut ! "

Les obsèques, comme l’a observé un journal de la région, ne ressemblèrent en rien à ce que ce mot désigne d’ordinaire.

Une sorte de félicité animait les cœurs et dissipait les ténèbres du deuil.

Au cimetière, il parut tout naturel d’entendre rappeler la mort d’Etienne.

Ces mots : " les cieux ouverts " n’étaient plus seulement ceux de la foi et de l’espérance, mais de la vue et de la réalité même.

Evangéline avait demandé que son départ servit à la gloire de Dieu et au bien de plusieurs.

Puissent ces lignes contribuer à rendre plus large encore l’exaucement de sa prière !

L’éternel est mon berger ; je ne manquerai de rien.

Il me fait reposer dans de verts pâturages ;

Il me mène près des eaux rafraichissantes.

Il restaure mon âme ;

Il me conduit dans les droits sentiers,

A cause de son nom.

Même quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort,

Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi ;

Ta houlette et ton bâton me rassurent.

Oui le bonheur et la grâce m’accompagneront

Tous les jours de ma vie,

Et j’habiterai dans la maison de l’Eternel

Pour longtemps.

(Psaume, chapitre 23)

(1) 

Ce sobre et émouvant récit, écrit, peu après la mort d’Evangéline, par un membre de sa famille, sur la demande du rédacteur de l’Ami, parut d’abord dans cette feuille, puis dans le Relèvement, qui le lui emprunt.

C’est pour répondre à un désir exprimé de divers côtés, qu’il est réimprimé à part.

Puisse la bénédiction d’En Haut continuer à en accompagner la lecture.

261 - La création

Sir James SIMPSON - Inventeur des appplications du chloroforme En janvier 1...

262 - Le péché et son remède

Le mensonge et la vérité Un jour, un Mensonge s’échappa de son enclos et pa...

263 - Si Jésus venait chez toi

Si Jésus venait chez toi " Si quelqu’un entend ma voix et ouvre sa porte, j...

264 - Choisir la bonne voie

La femme malade depuis douze ans C’est sous ce titre que les Evangiles de M...

264 - L'aventure extraordinaire d'une Bibl...

L'aventure extraordinaire d'une Bible Une histoire véridique racontée par l...

266 - Le plus grand trésor du monde

Le plus grand trésor du monde Il existe beaucoup de livres utiles et profit...

267 - Sophie GOBAT

Sophie GOBAT " La mémoire du juste sera en bénédiction " (Proverbe, chapitr...

268 - Marguerite MARGE

Marguerite Par une journée étouffante de chaleur je partis pour faire ma to...

269 - Evangéline ou les cieux ouverts

Evangéline ou les cieux ouverts (1) - Mort triomphante d'une jeune chrétien...

270 - A la mort d'un enfant

A la mort d'un enfant " Maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûnerais-je ?...

271 - Cinquante ans de marche avec Dieu

Cinquante ans de marche avec Dieu Avant propos Asa Mahan né en Amérique le...

272 - La Bible, sa nature et son usage

La Bible, sa nature et son usage par les catholiques Qu'est-ce que la Bible...

273 - Marguerite ou une étrange requête

Marguerite ou une étrange requête Une requête des plus singulières en effet...

274 - Pépita

Pépita Histoire vraie d’un grand artiste. On n’était encore qu’au début du...

275 - La seconde venue de Christ

La seconde venue de Christ Aux temps apostoliques, les disciples furent con...

276 - Russie, pays de l'est

Prisons bolchéviques Je recommande vivement aux lecteurs de " l’Ami " le be...

277 - Dieu en Chine

Plus que des passereaux Une simple et authentique histoire chinoise. Un mat...

278 - Histoires d'enfants

Mots d'enfants Un petit garçon de la ville était, pour la première fois, en...

279 - La vie chrétienne normale

Dieu vous cherche Lecture proposée : " Dieu était en Christ, réconciliant l...

280 - Jésus au secours des pauvres

Le vieux manteau - N’aurez-vous donc pas un manteau neuf cet hiver ? le vôt...